L’autre jour, je me dis comme ça que je ferai bien une tarte, une tourte ou une quiche aux rillettes de porc… Je regarde sur le ouaibe ce qui peut bien exister sur le sujet… Et je tombe sur une recette qui dit d’utiliser moitié rillettes du Mans et moitié rillettes de Tours et d’autres qui ne mettent que des rillettes de Tours…
Bon je cherche chez mes charcutiers et magasins d’alimentation des rillettes de Tours : nada ! Personne ne connaît…
Car, en France, si tout le monde connaît aujourd’hui les rillettes du Mans qui connaît les rillettes de Tours, à part les Tourangeaux ? Et pourtant, après enquête détaillée, façon recette du dredi, j’ai appris à 65 ans que les rillettes de porc étaient nées en Touraine et pas au Mans !
La Touraine, au climat doux et humide, ne permet pas le développement de charcuteries séchées naturellement comme dans le sud de la France. Les Tourangeaux médiévaux ne privilégient pas non plus la conservation par le sel ou le fumage mais utilisent un procédé de cuisson et de conservation dans la graisse de l’animal lorsqu’ils « tuent le cochon », le « mossieur » comme ils l’appelaient, une ou deux fois par an, en l’agrémentant de vin car le climat est propice à la vigne… Dès la fin du XVème siècle, le « Ménagier des champs » nous apprend que « les fèves peuvent être préparées à la graisse de rihelette », qu’on appelle aujourd’hui le saindoux, et, en 1520, Rabelais y fait référence par 2 fois dans son « Tiers Livre » comme un présent que l’on fait à des personnes de qualité dont on veut avoir la sympathie, en faisant dire à Panurge à 2 médecins qu’il consulte : « Ne laissez vos affaires d’ailleurs plus urgentes. Je vous enverrai du rillé en votre maison et serai toujours votre ami. ».
L’origine exacte du terme « rillettes » est incertaine. Les mots rillettes, rillé, rilles, rillées, rillauds, rihlete, rihelle, rihelette, rillons, grillons et grillettes sont utilisés dans des écrits locaux des XVème et XVIème siècles. Elles ont pour racine le terme « rille », à l’origine une petite cheville de bois, utilisé ensuite localement pour désigner un petit morceau de porc de forme équivalente, étroit et long de quelques centimètres. Il faut attendre 1845 pour voir apparaître le terme « rillette » dans le dictionnaire national de Bescherelle puis 1865 pour apparaître dans le dictionnaire universel Larousse. Les dictionnaires Larousse et Robert s’accordent aujourd’hui sur la définition suivante : « de l’ancien français « rille » : morceau de porc, charcuterie faite de viande de porc ou d’oie (etc.) hachée et cuite dans la graisse : « Rillettes du Mans », « Rillettes de Tours ».
Les rillettes de Tours, de couleur mordorée à brune dorée due à sa rissolation initiale dans la graisse de porc, se caractérisent par la présence de fibres longues et sèches : le produit dégraissé a une humidité inférieure à 68 %, la présence de morceaux de viande sous forme de fibres longues de 2 cm au moins et un goût de viande rissolée.
En 1835, Honoré de Balzac (° 1799-† 1850), natif de Tours, les vante dans le Lys dans la Vallée : « Les célèbres rillettes et rillons de Tours formaient l’élément du repas que nous faisions au milieu de la journée (…). Cette préparation si prisée par quelques gourmands, paraît rarement à Tours sur les tables aristocratiques ; si j’en entendis parler avant d’être mis en pension, je n’avais jamais eu le bonheur de voir étendre pour moi cette brune confiture sur une tartine de pain (…). Mes camarades, qui presque tous appartenaient à la bourgeoisie, venaient me présenter leurs excellentes rillettes en me demandant si je savais comment elles se faisaient, où elles se faisaient, pourquoi je n’en avais pas. ».
Le passage du terme du langage local dans les dictionnaires nationaux correspond à l’industrialisation des rillettes. Jusque vers 1860, la production est faite en effet uniquement localement dans le monde rural tourangeau et certaines fermes du Maine jusqu’à ce qu’un charcutier sarthois à l’esprit entreprenant profite des haltes du tout nouveau train Paris-Rennes qui refait le plein d’eau à Connerré pour vendre ses rillettes aux mécaniciens puis aux passagers. Le succès est fulgurant pour ce produit gourmand facile à tartiner et bien adapté aux voyages et, par la suite, les Sarthois ont l’idée de mettre les rillettes dans des pots à miel paraffinés que l’on connaît toujours aujourd’hui pour mieux les transporter plus loin et les conserver: les rillettes font alors depuis un tabac à Paris puis dans la France entière et ailleurs… Bien qu’également relié à Paris par le train depuis les années 1850, Tours ne pense pas à le prendre en marche ( ) et se contente de sa production fermière locale pour connaisseurs…
Devenue production industrielle dans la région du Mans, les Sarthois optimisent économiquement la recette : la viande est hachée finement au hachoir et plus détaillée en languettes, on y met plus de viande grasse pour optimiser les gains, on ne fait plus le grillage initial pour gagner de l’énergie… et la rillette de Tours tombe dans l’oubli, sauf localement…
Il faut attendre 1865 pour que la préparation des rillettes de Tours fasse une timide apparition dans certains ouvrages de la profession. Mais même si des écrits existent, en raison du contexte fortement artisanal, la transmission de la recette des rillettes de Tours se fait oralement de maître-apprenti à apprenti et les rillettes de Tours restent présentes aux étals des charcutiers tourangeaux.
Restant un produit pour connaisseurs, Maurice Edmond Sailland, dit Curnonsky (° 1872-† 1956), natif d’Angers, gastronome, humoriste et critique culinaire français surnommé « le prince des gastronomes », les mentionne en 1933 dans son ouvrage « Les trésors gastronomiques de la France » : « La charcuterie de Touraine a acquis une renommée universelle et légitime : les rillettes de Tours ont fait le tour du monde. » et, malgré un développement commercial moindre que celui des rillettes du Mans, les rillettes de Tours sont couramment citées dans les livres de charcuteries. Le code des usages de la charcuterie, de la salaison et des conserves de viandes (édition 1998) fait état de la recette des « Rillettes de Tours » et de leurs caractéristiques physico-chimiques spécifiques par rapport aux autres types de rillettes.
Vers 1990, les Tourangeaux las du détournement de leur produit par les Sarthois se mettent au travail pour faire connaître plus largement leur produit à eux… L’appellation rillettes de Tours est reconnue par l’INAO (Institut National de l’Origine et de la Qualité) en 2009, ce qui protège le produit au niveau français et, fin 2013, la commission européenne attribue le label IGP (Indication Géographique Protégée) aux rillettes de Tours… La rillette du Mans qui a entrepris des démarches similaires est elle toujours en attente du label IGP…
Le label IGP des rillettes de Tours exige la traçabilité de la viande de porc locale utilisée et stipule que ces rillettes ne peuvent être fabriquées qu’en Indre-et-Loire où 6 artisans et 4 salaisonniers en produisent un peu plus de 100 tonnes par an ainsi que dans les cantons limitrophes de ce département sauf dans la Sarthe ! C’est de bonne guerre puisque, depuis le milieu du XIXème siècle, les Sarthois se sont emparés de la réputation d’un ersatz de la rillette de Tours pour en faire la rillette du Mans et faire croire qu’ils en étaient les créateurs !
Mais ce n’est pas une revanche mais une réhabilitation, une reconnaissance estiment les Tourangeaux !
Au fait faut-il dire la rillette ou les rillettes ? En fait, on fabrique la rillette mais on vend, achète ou on consomme des rillettes ! Amusant, non ?