Les piments sur l’échelle de Scoville

Un piment qui monte, qui monte, qui monte… ça ne manque pas de piquant !

Vous ne vous intéressez pas à l’histoire des piments, à la raison de leur piquant et à la manière de la calmer, aux méthodes d’évaluation de leur force ?

Bref vous voulez simplement voir le classement général de quelques piments dans l’échelle de Scoville ? Alors rendez-vous directement sur Un peu de piments sur l’échelle.

Par contre, si vous aimez les histoires pimentées et avant de parler de leur échelle, quelques rappels sur les piments !

Les piments sont les fruits, en forme de gousses, des plantes du genre Capsicum de la famille des Solanaceae.

Comme les tomates, le tabac et les pommes de terre, leurs cousins et cousines, ils sont originaires d’Amérique centrale et émigrèrent en Europe en 1493 grâce à Christophe Colomb (°~1451-t1506), au retour de son premier voyage inattendu dans les Caraïbes ; quand on pense qu’avant lui, la ratatouille se faisait avec de l’ail, des oignons et des aubergines mais sans tomates ni poivrons

Toujours est-il que contrairement à la tomate et à la pomme de terre qui ont inspiré la méfiance au moment de leur introduction, le piment a été immédiatement adopté dans les cuisines locales, comme solution de rechange au poivre, épice appréciée mais rare et dispendieuse.

Les Espagnols et les Portugais l’adoptent et le répandent en effet rapidement dans le monde entier et, dès 1550, on le cultive sur les côtes d’Afrique, d’Inde, d’Asie tropicale, du sud-ouest de la Chine ainsi qu’au Moyen-Orient, dans les Balkans, en Europe centrale et en Italie.

C’est aujourd’hui l’épice la plus consommée dans le monde …mais de façon inégale selon les pays. Ainsi, en dehors des Balkans et de la Turquie, les Européens font peu de cas des variétés trop piquantes, leur préférant le paprika doux et quelques variétés locales comme le piment d’Espelette.

C’est dans les régions chaudes : Inde, Thaïlande, Indonésie, Mexique, Afrique du Nord, Amérique du Sud, Caraïbes, … que le piment fort fait le plus d’adeptes, probablement à cause de ses propriétés antibactériennes et, paradoxalement, parce qu’il procure un agréable sentiment de fraîcheur une fois son « feu » éteint.

Ce soir, on vous met le feu (tout du moins on fait semblant…) !

Une des propriétés de la plupart des solanacées est leur aptitude à fabriquer des alcaloïdes, substances organiques basiques et azotées, dont les propriétés physiologiques sont souvent étonnantes…

Et, dans ce domaine, les piments sont rois : la capsaïcine (8-méthyle N-vanillyle 6-nonénamide, soit C18H27NO3), alcaloïde qu’ils sont seuls à fabriquer dans tout le règne végétal, a le pouvoir d’activer chimiquement les récepteurs dits « VR1″ qui équipent notre langue, nos parois buccales et notre épiderme, pour détecter des températures supérieures à 43°C… Il en est de même pour quelques autres substances voisines qu’ils ont également dans leur catalogue : la dihydrocapsaïcine (trans-8-methyl N-vanillyl 6-nonenamide), la nordhydrocapsaïcine (8-méthyl N-vanillyl nonamide), l’homocapsaïcine (9-methyl N-vanillyl 7-decamide) et l’homodihydrocapsaïcine (trans-9-methyl N-vanillyl 7-decenamide)…

Et c’est comme cela que les piments nous font croire que l’on se brûle à leur contact ! La capsaïcine est d’ailleurs une illusionniste particulièrement douée puisque notre langue en détecte le « piquant » même à raison d’1 gramme mélangé à 10 000 litres d’eau…

Au feu les pompiers…

Si vous avez la bouche ou la peau enflammée par du piment, pour calmer la sensation, rien ne sert d’incurgiter une carafe d’eau, ni même 10 000 litres d’eau ou de passer sous la douche, car la capsaïcine n’est pas soluble dans l’eau tiède et s’accroche fermement à nos petits récepteurs VR1 chéris. Elle est un petit peu plus soluble dans l’eau bouillante mais, dans ce cas, ce n’est plus d’une sensation de brûlure dont vous allez souffrir mais d’une brûlure réelle !

Par contre la capsaïcine est liposoluble dans la caséine et, de plus, lipophile de cette dernière et va donc abandonner les récepteurs VR1 pour se dissoudre dans cette substance qui lui plaît bien ! La solution est donc de boire du lait (ou de s’en passer sur la zone de peau irritée…) ou de manger un yaourt ou du fromage, riches également en caséine. Une boîte de thon ferait – paraît-il - aussi l’affaire…

Une autre solution est de convaincre vos récepteurs VR1 que tout ceci n’est qu’une illusion : soyez zen et bon courage !

Mon papa, il a un piment qui pique plus que le tien, na na nère…

La « vertu » piquante des piments a bien évidemment été repérée rapidement par nos ancêtres qui, outre une utilisation culinaire judicieusement dosée selon leur goût, les utilisèrent dans des onguents pour activer la circulation sanguine et traiter par exemple les douleurs musculaires, les tendinites ou les entorses ou faire oublier la douleur d’un hématome en lui substituant une sensation de brûlure !

Et c’est là que ça s’est compliqué ! Car dans le genre Capsicum avec ses 30 espèces, certaines de ses plus de 300 variétés répertoriées produisent très peu (voire pas) de capsaïcine et d’autres énormément… et comme chaque producteur de piment vantait (et vante d’ailleurs toujours…) immodérément les mérites de sa production, il a été longtemps question de savoir lesquels étaient réellement les plus forts pour les usages thérapeutiques ou les plus adaptés pour tels ou tels usages culinaires.

C’est ainsi que le Laboratoire pharmaceutique Parke Davis de Detroit soumit la question de la force réelle des piments à un de ses chimistes, Wilbur Scoville (°1865-t1942), éminent spécialiste en alcaloïdes. Et, en 1912, ce dernier mit au point le « Scoville Organoleptic Test », le SOT…, pour déterminer la force d’une préparation à base de piment.

Ce test consistait à faire goûter, à un groupe de 3 ou 5 personnes, une solution de piment frais, entier et réduit en purée, délayée dans un volume déterminé d’eau sucrée : si une majorité des cobayes avaient une sensation de piquant, la dilution était augmentée jusqu’à ce que cette sensation disparaisse ; la valeur de la dilution était alors retenue comme mesure de la force du piment sur l’échelle de Scoville.

Depuis, on a recours à des mesures, moins subjectives, par chromatographie en phase liquide. On doit les prémices de cette technique au botaniste russe Mikhail Tswett (°1872-t1919) qui, dès 1903, utilisa des colonnes d’adsorption pour séparer des pigments de plantes et mesurer leur concentration ; en 1906, il qualifia sa technique de « chromatographie », du grec chroma : couleur et donc pigment ! Et, par le plus grand des hasards (?), le mot tswett signifie également couleur en russe !

Un peu d’étymologie…

À ce propos, d’où vient le nom piment ? Mais de pigment bien sûr ! Et pigment vient du latin pigmentum, substance colorante, dont fût également tiré, en ancien français, pimenc, le nom d’un breuvage à base de vin rouge agrémenté de miel et d’épices, mixture échauffante qui fût d’ailleurs, pour cette raison, interdite à ses moines par Pierre le Vénérable, abbé de Cluny…

Les relations entre pigments et épices ne sont d’ailleurs pas récentes car de nombreuses épices ont été utilisées par les hommes dès les temps les plus reculés pour colorer leurs tissus !

Les Indiens des Caraïbes nommaient les piments « Axi », devenu « Aji » en espagnol, et les Indiens du Mexique les appelaient « Chile », nom utilisé par plusieurs langues, en particulier l’anglais ; en anglais également, on qualifie certains piments de « pepper » bien que le piment n’ait botaniquement rien à voir avec le poivre… mais n’oublions pas que nous faisons de même avec notre appellation « poivre de Cayenne » alors qu’il s’agit d’une poudre obtenue à partir de piments de Cayenne long rouge… ainsi que les Hongrois avec leurs poudres « paprika », nom qui dérive probablement du grec peperi kapsa, la boîte à poivre ! Quant au genre Capsicum, il doit évidemment son nom au latin « capsa », la boîte à fruits !

L’échelle de Scoville 

Mais revenons à notre échelle (enfin à l’échelle de Scoville pour rendre à Wilbur ce qui lui appartient) ; grâce à cette échelle, la communauté internationale s’accorde désormais à reconnaître que la force des piments va de celle du poivron (Capsicum annuum L. var. annuum L.), nulle car celui-ci ne contient pas de capsaïcine, à celle du piment recordman du monde toutes catégories depuis 2005, le Bhut Jolokia de l’Assam (une province du nord-est de l’Inde) ; cette variété encore mal identifiée pourrait être un hybride naturel de cultivars de Capsicum chinense (famille des Habañero) et de Capsicum frutescens (famille du piment des oiseaux). Dans le test de Scoville, le Bhut Jolokia doit être dilué 1 000 000 de fois pour qu’il ne pique plus…

Entre ces deux extrêmes, on trouve le Habañero Red Savina (Capsicum chinense Jacquin cv. Red Savina) environ 2,5 fois moins fort que le Bhut Jolokia et 2 fois plus fort que son grand frère le Habañero (Capsicum chinense Jacquin cv. Habañero) qui est 5 fois plus irritant que le piment de Cayenne (Capsicum annuum L. var. annuum L. cv. Red Cayenne), 20 fois plus que le piment d’Espelette (Capsicum annuum L. var. gorria) et 100 fois plus que le Paprika doux rouge sombre (Capsicum annuum L. var. cuneatum Paul).

À noter que le taux de capsaïcine dans un piment « normal » (rouge, mince et long…) serait d’environ 7% dans les membranes intérieures qui représente 2% en masse de la gousse, de 0,2 à 0,6% dans le pulpe ou péricarpe qui représente 38% de la gousse et d’environ 0,025% dans les graines pour 60% de la masse.

Un piment « normal » contiendrait ainsi de l’ordre de 50% de la capsaïcine dans sa pulpe, 45% dans ses membranes intérieures et, contrairement aux croyances courantes, seulement 5% dans ses graines… Retirer les membranes internes est donc un moyen efficace pour atténuer la force d’un piment mais retirer les graines ne le serait que très peu… D’un autre côté se retrouver avec une graine sous la dent puis sur la langue n’a rien d’agréable : donc si on ouvre le piment pour le cuisiner, autant enlever ses graines ainsi que l’essentiel des parois internes… Ceci explique aussi que les piments peu charnus sont souvent redoutables (mais pas toujours…)…

Pour un emploi gustatif courant, l’échelle de Scoville a ensuite été simplifiée en une échelle à 11 échelons, de 0 à 10, chaque échelon étant associé à un qualificatif qui va de neutre à fort explosif, en passant par plusieurs niveaux de doux et de moyens… Pour manipuler des piments forts volcaniques ou forts explosifs, il est recommandé de s’équiper de gants étanches… c’est vous dire…

Pour connaître précisément les échelles de Scoville et, à titre d’exemple, le classement de quelques piments et sauces pimentées renommés, sans oublier les bombes « d’auto-défense » (qui sont à base de solutions de capsaïcine), voir Un peu de piments sur l’échelle.

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3 réponses à “Les piments sur l’échelle de Scoville”

  1. [...] les piments ne sont pas tous égaux face à mon palais. J’ai découvert il y a peu de temps ici, plein d’infos très intéressantes sur les piments, et en particulier qu’il existe une [...]

  2. je cherche un fournisseur de graine du piment lampion le capsicum chinense pas d’autres varietés uniquement le piment antillais

  3. [...] est omniprésent dans la cuisine indienne et d’Asie du sud-est, celui-ci n’est connu dans ces contrées qu’au XVIème siècle (peu de temps après l’Europe en fait) grâce  aux conquistadors [...]

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