Levure, vous avez dit levure ?
Un jour, la petite Marion du Trois-Huit m’a posé la judicieuse question suivante, évidemment fort pertinente : « Dis, René, pour le gâteau Sainte-Sabine, est-ce que j’utilise la levure que j’utilise d’habitude pour faire le cake aux olives bien que ce ne soit pas un gâteau ou alors plutôt celle que j’utilise pour faire le klougoff qui lui est un gâteau, mais que j’utilise aussi par contre pour faire les blinis ou les bretzels qui, eux, ne sont pas des gâteaux ? ».
Bien… après avoir trimé dur toute une nuit, ressorti mes cours et ma panoplie de petit chimiste, consulté le ouaibe, les ouvrages de cuisine, analysé et comparé tous les échantillons de levure qui se trouvaient un peu partout dans notre cuisine et enfin vérifié certaines réactions, je suis en mesure d’apporter les précisions suivantes sur ce qu’il faut savoir sur les différentes levures de la cuisine et leur bon usage… en particulier pour le gâteau Sainte-Sabine…
Je tiens à préciser pour commencer que je ferai abstraction de la levure au sens héraldique du terme et dont chacun sait qu’il s’agit du quartier de l’écu dit franc quartier. Je précise ceci, car, de déformation scientifique, je considère qu’il est toujours important de préciser les limites du sujet dont, d’un côté, on va parler et dont, d’un autre côté, on ne parlera pas…
Donc, on s’en tiendra ici au sens strictement culinaire (et non chimique et biologique où le terme levure désigne toute substance provoquant une fermentation au sens post-pasteurien du terme)… Bref, dans le sens culinaire, la levure est une substance dont on se sert pour faire lever une pâte et la rendre plus légère…
Ceci étant dit, pour commencer, il faut rappeler qu’en cuisine, il y a, d’un côté, les levures dites chimiques et, d’un autre côté, les levures dites biologiques… Mais inutile de vouloir dresser les unes contre les autres car, dans tous les cas, le principe utilisé est le même : il repose sur une réaction, au sens chimique du terme, conduisant à la production de gaz carbonique – CO2 – à partir de substances solides ou liquides….
Côté levures chimiques…
Il faut en distinguer deux types :
- Les premières agissent par décomposition sous le simple effet de la chaleur : elles sont constituées de sels d’ammonium (carbonate, bicarbonate, sesquicarbonate) produits qui se décomposent facilement à la chaleur, sans besoin particulier d’humidité, et produisent un dégagement important de gaz carbonique (donc à utiliser modérément pour limiter le réchauffement planétaire vont me dire certains… ). Ce type de levure était employé pour la fabrication des génoises, quatre-quarts, madeleines, cake, biscuits, … et autres pâtisseries de ce genre, sans ou avec très peu d’ajout d’eau ou de lait : la levure est tamisée avec la farine ou dissoute dans une partie des éléments liquides (œufs en général). Je dis « était » car en fait il est désormais très difficile de trouver une levure de ce type en épicerie… La levure « Alsa rose » qui, à ma connaissance, relevait de cette catégorie ne contient plus de sels d’ammonium aujourd’hui mais appartient à la catégorie ci-dessous comme toutes les autres poudres à lever que l’on trouve couramment… Si vous voulez absolument utiliser des sels d’ammonium pour une recette levant à sec à la cuisson, je pense qu’on doit pouvoir s’en procurer par le biais d’une bonne pharmacie…
- Les levures chimiques du second type agissent, elles, par réaction sous l’action de la chaleur et au contact d’humidité : les principaux agents levants sont des carbonates de sodium. C’était d’ailleurs du bicarbonate « de soude » qu’utilisait traditionnellement nos ancêtres pour faire lever des pâtisseries lors de la cuisson (voir par exemple le traditionnel soda irish bread)… Mais le bicarbonate « de soude » et, plus généralement, les carbonates de sodium ont un inconvénient : ils laissent une légère amertume aux mets une fois cuit, que supportent difficilement les palais délicats… Aussi, dans les « poudres à lever », les carbonates de sodium sont associés désormais à un composant acide (acide tartrique E.334, acide citrique E.330, …) qui accélère le dégagement de gaz carbonique et supprime l’arrière-goût donné par les carbonates de sodium après cuisson, ainsi qu’à une matière neutralisante (fécule, amidon ou farine de riz) dont le rôle est d’empêcher une réaction prématurée des carbonates de sodium au seul contact de l’humidité de l’air. Ces levures, tamisées avec la farine avant ajout d’éléments liquides, sont à utiliser pour des pâtes avec addition d’eau que l’on laisse commencer à lever un peu avant cuisson puis qui finissent de lever pendant la cuisson… Elles sont très utilisées en pâtisserie familiale, en particulier pour les brioches et autres pâtes humides de ce type…, car leur emploi est moins complexe et moins hasardeux que celui des levures biologiques et la levée continuent à la cuisson, ce qui n’est pas le cas des levures biologiques…
Concernant ces levures biologiques
…on utilise le plus souvent celle dite « de boulanger » ; son action repose sur le pouvoir levant du champignon microscopique unicellulaire « Saccharomyces cerevisiae » dont le grand plaisir est de s’empiffrer de sucres en tous genres ou de farines, en dégageant du CO2 et en produisant de l’alcool… On comprendra donc facilement que ce champignon est très utilisé pour des activités alimentaires telles que la panification ou les fermentations alcooliques, celle des bières notamment.
Cette levure biologique dite de boulanger est commercialisée :
- soit fraîche, en cubes de 40 g. Sous cette forme, elle se conserve une dizaine de jours si on la maintient entre 4-6°C. En dessous de 3°C, l’activité de Saccharomyces cerevisiae est bloquée, au dessus de 50°C, le champignon clabote… Inutile donc d’essayer de faire lever une pâte avec de la levure biologique au-dessus de cette température ou si vous vous adonnez à une expédition polaire… Il faudra dans ces cas attendre avant de manger de la brioche ou des croissants maisons… Pour que le champignon soit en pleine forme, il faut, avant emploi, délicatement délayer la levure dans de l’eau tiède sucrée à 35°C environ, pour bien le mettre en appétit et initier la réaction, puis après l’avoir mélangé à la pâte laisser monter tranquillement cette dernière à une température de l’ordre de 30-35°C.
- soit sous forme de granulés déshydratés. On l’utilise alors telle que, mélangée à sec avec la farine, pour la confection des pains… Si on utilise une machine à pain, c’est apparemment la seule solution envisageable…
Lorsqu’on utilise de la levure de boulanger, fraîche ou déshydratée, il faut faire attention de la protéger d’un contact trop intime avec du sel de cuisine (chlorure de sodium), car cela tue le champignon qui, s’il aime le sucre, n’aime pas le sel… L’histoire ne dit pas ce qu’il pense du poivre, du piment ou de la glace au chocolat…
La bière, contient ce charmant champignon qui sert à sa fabrication, et est donc une substance liquide parfois utilisée directement comme élément levant de pâtes liquides (pâtes à gaufres…).
Bon, donc, finalement, en l’occurrence, pour le gâteau Sainte-Sabine, sans lait ni eau et qui lève à la cuisson, comme vous l’avez compris, il ne faut pas utiliser de levure biologique mais de la levure chimique… et de préférence, une levure à base de carbonates d’ammonium ou, à défaut, une « poudre à lever » chimique aux carbonates de ssodium… et, si on veut la tenter à l’ancienne en admettant une légère amertume après cuisson, on peut aussi utiliser tout bonnement du bicarbonate « de soude » !
Allergies et intolérances alimentaires aux levures
Certains composants présents dans certaines levures peuvent provoquer des allergies ou intolérances alimentaires chez certaines personnes…
C’est le cas notamment du gluten, protéine qui se trouve dans le blé et les farines de blé… Du gluten se trouve bien évidemment dans le levain, la levure de boulanger fraîche mais peut aussi se trouver sous formes de traces dans la plupart des levures de boulanger déshydratées… et, également en traces, dans la plupart des poudres à lever (celles qui utilisent de la farine de blé comme stabilisant).
Cette allergie au gluten impose d’écarter la farine de blé de l’alimentation de la personne qui en souffre… Mais il existe néanmoins des farines sans gluten qui, combinées avec de l’amidon, sont utilisables pour obtenir des pains et certaines pâtisseries consommables par les victimes de cette allergie. Si la personne est ultra allergique au gluten, il ne faudra, en outre, utiliser ni levure de boulanger, fraîche ou sèche, ni poudre à lever classiques…
Par contre les allergies ou intolérances alimentaires aux sels minéraux sont choses peu probables… et l’utilisation de carbonates de sodium ou d’ammonium, seuls ou en association à du jus de citron pour éliminer l’amertume laissée après cuisson, sont donc a priori utilisables pour provoquer la levée d’une préparation à la cuisson…
Mots-clefs : Les produits
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