Traité de la cuisine familiale

Ce traité, c’est un petit livre « de poche », format 11 x 17 cm de 310 pages, de 500 recettes traditionnelles françaises et de conseils, écrit par Henri-Paul Pellaprat (1869-1952), officier de l’instruction publique et professeur de cuisine après 50 ans d’expérience… Publié en septembre 1936 par les éditions Ernest Flammarion, il a probablement été offert à ma mère en juin 1937 comme cadeau de mariage par Francine, une de ses amies cuisinière, qui comme ma mère était au service d’un couple aisé sans enfants qui habitait avenue Foch à Paris. Ma mère, alors célibataire, logeait chez eux et était la femme de chambre et la confidente de « Madame » et aidait aussi Francine en cuisine et pour le service…

Il y a environ 3 ans, en faisant un peu de rangement chez ma mère, je retrouve ce vieux livre relié tout au fond d’une niche au dessus du four, dans un sale état… Il a été massacré par les assistantes ménagères de ma mère qui l’ont enfoui sous les maniques et les rouleaux de sacs poubelles, papier aluminium, papier sulfurisé, papier ménager, ustensiles de cuisines, etc. bourrés dans la niche… Le livre tout jauni n’a plus de reliure de couverture ni de côté, plus que celle du dos, cartonnée… et les 155 feuillets sont désormais libres ! Je récupère précieusement les débris de ce livre qui, alors que j’étais enfant, était celui que ma mère consultait souvent pour le repas dominical, remet à plat et reclasse les pages toutes pliées, déchirées et qui s’effritent … Et je demande à ma mère si elle veut bien me le donner en souvenir, maintenant qu’elle ne fait plus de cuisine : évidemment, elle me le donne avec plaisir mais en regrettant l’état dans lequel il est… Je le consulte : les recettes que l’on y trouve sont écrites clairement et simplement et je suis surpris par la précision des conseils et la qualité et la modernité des recettes !

Du coup, dimanche dernier, j’ai fini par chercher qui était Henri-Paul Pellaprat dont je n’avais encore jamais entendu parler : je découvre qu’avec le critique Curnosnski, qui fût son élève, c’est une des plus grandes références de la cuisine française de l’entre deux guerres…

Henri-Paul Pellaprat fait son apprentissage comme pâtissier puis comme cuisinier et, dès l’âge de 12 ans, exerce dans de nombreux restaurants prestigieux de la Belle Époque comme la célèbre Maison Dorée. En 1894, à 25 ans et après 13 années d’expérience, il a envie de transmettre le savoir-faire qu’il a appris et crée la revue « Le cordon bleu » dont il sera rédacteur en chef jusqu’à sa mort. Cette revue devient rapidement la référence de la gastronomie française. Début 1895, Marthe Distel, une journaliste en vogue, lui propose de travailler ensemble : il réalisera devant elle des recettes et elle prendra des notes puis les retranscrira sous forme d’articles à la portée de tous dans « La cuisinière, le Cordon Bleu », premier hebdomadaire culinaire français qu’elle propose de créer et diriger. Dès son lancement, l’hebdomadaire a 20,000 abonnés ! Marthe Distel a l’idée d’inviter les abonnés de sa revue à venir assister « aux cours de cuisine » de Henri-Paul Pellaprat et d’autres grands chefs prestigieux. La haute société parisienne y envoie son personnel apprendre la grande cuisine française. Devant le succès de « ces cours particuliers », fin 1895, Henri-Paul Pellaprat et Marthe Distel fondent l’école du Cordon bleu, à Paris dans le 15ème arrondissement, 8 rue Delhomme. Çà se trouve tout près du foyer pour jeune travailleur où, à partir de 1930, mon père, devenu orphelin, va vivre dans une chambre au dernier étage et où, après leur mariage, ma mère venir vivre avec lui quelques temps, en 1937 avant de trouver un autre logement… Francine, la cuisinière copine de ma mère, a probablement assistée à des cours au Cordon Bleu…

Henri-Paul Pellaprat enseigne la gastronomie au Cordon Bleu de 1895 à 1927 : Maurice Edmond Sailland dit Curnonsky (1872-1956), Raymond Oliver (1909-1987) et bien d’autres grands chefs sont ses élèves… La méthode d’enseignement qu’il applique est toujours utilisée aujourd’hui au Cordon Bleu : les professeurs font des démonstrations de cuisine suivies de dégustations puis les élèves refont ce qu’ils ont dégusté jusqu’à ce qu’ils égalent voire surpassent leurs maîtres. Après avoir arrêté ses activités d’enseignement, Henri-Paul Pellaprat rédige de nombreux livres de vulgarisation qui visent « à aider la ménagère, la « Femme de France » dans sa tâche quotidienne au foyer, en lui enseignant les principes de la bonne et saine cuisine, l’art de reconnaître la qualité des denrées qu’elle achète, l’accommodement des restes, les temps de cuisson des viandes et légumes… » comme il l’écrit en introduction à son Traité de cuisine familiale apparemment renommé lors d’éditions ultérieures – « La Cuisine familiale et pratique » (500 recettes et 53 gravures en couleurs).. On lui doit notamment :
- « La cuisine de tous les jours »,
- « La pâtisserie pratique »,
- « Le guide des hors-d’œuvres »,
- « La cuisine et le vin de France »,
- « Les sandwichs et pains fourrés », recueil de 60 recettes,
- « Les menus détaillées de la ménagère. 180 menus simples et pratiques. Menus pour les jours de réception et fêtes de famille. », 230 pages, 43 planches en couleurs et 16 en noir,
- « 340 recettes de cuisine pour restrictions alimentaires ».
- « Cuisinons vite et bien »,
- « La cuisine végétarienne »,
- « Le Nouveau Guide Culinaire. Les meilleures recettes de cuisine et pâtisserie. », 1.500 recettes et conseils pratiques, illustrés de 32 pages en couleurs et 8 en noir,
- et son ouvrage majeur « La bonne table française et étrangère » connu aussi sous le nom de « L’Art Culinaire Moderne », véritable encyclopédie de la gastronomie traduite de son vivant en 5 langues…

Esprit novateur, Henri-Paul Pellaprat lance en 1930 avec PLM (Paris Lyon Marseille), « Le Train des Poissons » : ce train part de la gare de Lyon le matin à Paris avec la criée arrivée de Normandie dans la nuit et fait des arrêts jusqu’à Marseille pour inciter les Français à manger du poisson.

Dans les dernières années de sa vie, Henri-Paul Pellaprat continue d’exercer son talent à domicile pour le compte de grands restaurants parisiens comme Lucas Carton ou Lasserre.

Après la seconde guerre mondiale, Elizabeth Brassart reprend l’école. Avec elle et une américaine passionnée de cuisine, Julia Child (1912-1904), le Cordon Bleu prend vraiment une dimension internationale. Julia Child qui a été GI membre de la Croix-Rouge à Paris après le débarquement, revient 3 ans à Paris pour suivre les cours du Cordon Bleu. De retour aux États-Unis, elle met en valeur les techniques culinaires françaises avec son livre « Mastering the Art of French Cooking » puis créée les premières démonstrations télévisées sur la cuisine dans son émission « The French Chef » qui débute en 1963. Cela fait connaitre la cuisine française et le Cordon Bleu outre-atlantique et de nombreux américains viennent à Paris et notamment au Cordon Bleu pour y apprendre à faire la cuisine « à la française ».

En 1984, Le Cordon Bleu devient la propriété de la famille Cointreau. Un des enfants, André Cointreau, s’occupe de l’école et, en 25 ans, il en fait un empire international. Aujourd’hui, le Cordon Bleu, c’est environ 40 écoles et partenariats avec des campus associés dans 14 pays d’Europe, des Amériques, d’Asie et d’Océanie qui forment environ 20.000 étudiants chaque année ! Le Cordon Bleu est considéré internationalement comme le flambeau de la gastronomie et les plus grands de la gastronomie mondiale demandent à être admis au Cordon Bleu parisien qui accueille chaque année environ 1.000 étudiants dont 90 % d’étrangers. Le Cordon Bleu, synonyme de tradition et d’excellence gastronomique, continue à transmettre les valeurs de bases de la cuisine française et contribue ainsi au rayonnement de l’art culinaire et de l’art de vivre à la française à travers le monde mais incorporer aussi, à l’exemple de Henri-Paul Pellaprat, les cultures culinaires et les ingrédients locaux d’autres pays. Les enseignements Le Cordon Bleu, conduisent à des diplômes, jusqu’au niveau maîtrise, en techniques culinaires, gastronomie, œnologie et gestion hôtelière, touristique et de la restauration. Le Cordon bleu a aussi plusieurs restaurants de démonstration applicative et une maison d’édition qui a vendu aujourd’hui plus de 14 millions de livres en 20 langues dans le monde et aussi une gamme de produits qui symbolise l’art de vivre à la française à travers le monde.

Henri-Paul Pellaprat, grand cuisinier et co-fondateur de la prestigieuse École du Cordon Bleu qui, par la pratique et l’écriture, popularisa la cuisine familiale et la grande tradition gastronomique française, est un des 20 grandes femmes et grands hommes de la gastronomie française sélectionnés par l’état français pour les journées européennes du patrimoine 2010 avec :
- saint Honoré (VIème siècle), 8ème évêque d’Amiens, patron des boulangers,
- Christophe Colomb (1451-1506) qui, entre autres, fit connaître en Europe l’ananas, étrange grappe succulente, sucrée et savoureuse composée de milliers de baies soudées les unes aux autres, qu’il avait découvert en Guadeloupe et dont le nom nanà-nanà donné en guarani par les indigènes signifiait parfum des parfums.
- la reine Claude (1499-1524) qui adorait cette prune et lui laissa son nom,
- Catherine de Médicis (1519-1589), reine des arts de la table,
- Olivier de Serres (1539-1619) et son théâtre d’agriculture et mesnage des champs,
- Henri IV (1553-1610) et son emblème de la poule au pot,
- les marins « Terre-neuvas » qui de 1554 à 1958 fournirent la France en cabillaud et autres poissons au péril de leur vie,
- la Quintinie (1624-1688), jardinier, potager et aussi pote âgé du roi Louis XIV (1638-1715),
- Pierre Poivre (1719-1786), missionnaire, aventurier, botaniste et intendant de La Réunion et de l’Île Maurice qui mit fin au monopole des Hollandais sur les épices,
- Antoine-Augustin Parmentier (1737-1813), qui réussit à convaincre les Français de consommer la pomme de terre, connue depuis Olivier de Serres mais aussi à faire diffuser le maïs en France,
- Nicolas Appert (1749-1841), inventeur des conserves,
- Marie-Antoine Carême (1784-1833), grand cuisinier et pâtissier fondateur de la haute cuisine française,
- Louis Pasteur (1822-1895) qui révolutionna la santé humaine et des animaux grâce à la vaccination et l’alimentation grâce à la pasteurisation,
- Vital Rodier (1829-1904), connu en religion sous le nom de révérend père Clément, qui découvrit par hasard la clémentine, mandarine sans pépin, en constatant la présence d’un arbre un peu différent des autres dans la cour de l’orphelinat qu’il dirigeait près d’Oran en Algérie.
- Auguste Escoffier (1846-1935), cuisinier et chef de génie qui codifia la cuisine française pour mieux la faire partager à tous, humbles et puissants,
- les frères André (1853-1931) et Édouard Michelin (1859-1940) qui créèrent en 1900 leur guide rouge (initialement vert…) puis en 1926 leurs étoiles qui permirent de faire connaître dans le monde entier les plus grands noms de la restauration et de l’hôtellerie française puis mondiale,
- Maurice Edmond Saillant, Curnonsky (1872-1956), gastronome, humoriste et critique culinaire français qui consacra sa vie aux lettres et à la gastronomie et fut élu « prince des gastronomes » en 1927 par 3.000 toques blanches.
- Eugénie Brazier (1895-1977), patronne de bouchon lyonnais, 1ère chef de cuisine à obtenir 3 étoiles au Guide Michelin en 1933.

Et pour finir, voici le « menu du « Traité de la cuisine familiale » !
















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2 réponses à “Traité de la cuisine familiale”

  1. Bonjour,
    moi aussi, j’ai été nourrie grâce au Pellaprat, le livre de chevet de ma maman.
    Je ne sais pas pourquoi ce livre a disparu alors que je déménageais ses affaires après son décès.
    Auriez-vous la gentillesse de me faire parvenir la recette du flameri de semoule (page 192).
    Je ne retrouve pas la « vraie » recette dans celles publiées sur Internet.
    Avec mes remerciements.

  2. Bonjour Skyrgamur !

    Voici la recette du « Flameri de semoule » selon « le Pellaprat 1936 » :

    « Faire cuire 60 grammes de semoule dans trois décilitres de lait, soit trois tasses à café environ, puis quand la semoule est bien cuite, la sucrer avec 100 grammes de sucre un peu vanillé et verser dedans hors du feu, trois feuilles de gélatine dissoute dans un peu d’eau chaude, puis aussitôt mélanger dans cette crème bouillante trois blancs d’œufs en neige. Verser cet appareil dans un moule à pudding que l’on a mouillé intérieurement, en le passant dans l’eau, ce qui permettra de le démouler sans le passer dans l’eau chaude. Faire prendre au frais ou à la glacière, puis démouler sur un plat rond, froid, le décorer de quelques cerises et fruits confits et verser autour sans le salir une gelée de groseilles délayée avec un verre à liqueur de kirsch. Cet entremets qui est fort bien présenté est très bon et d’un prix les plus minimes. ».

    Je ne connaissais pas ce dessert mais il à l’air bien tentant !

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