Fêtez-vous Thanksgiving au Canada ?

« Do you celebrate Thanksgiving in Canada ? » : c’est la question qui aurait été posée par un  »États-Unien » sur le site web d’un office du tourisme canadien…

Et, à votre avis, quelle fût la réponse ?

Tout bonnement : « Only at Thanksgiving. »

Logo Google pour Thanksgiving 2006 au CanadaCette réponse ne manque pas d’humour car, si les Canadiens fêtent effectivement Thanksgiving comme leurs voisins méridionaux, ils ne le fêtent pas en même temps mais un mois et demi plus tôt, le deuxième lundi d’octobre et non pas le quatrième jeudi de novembre… En 2007, Thanksgiving, le jour d’Action de grâce en francophone, aura donc lieu le lundi 8 octobre au Canada alors qu’aux États-Unis ce sera le 22 novembre.

Et en plus, contrairement à ce qu’on croit généralement, la tradition de Thanksgiving, le jour où l’on « donne les remerciements », tire ses premières origines, sur le continent nord-américain, du territoire du Canada actuel et non de celui des États-Unis…

Thanksgiving au Canada, une fête importée des USA ?

Peut-être pas autant que ça !

    Le précurseur : Martin Frobisher ?

Réplique en noir et blanc du portrait de Martin Frobisher par Cornelis Ketel.C’est en effet l’amiral anglais Martin Frobisher qui aurait organisé la première cérémonie de Thanksgiving sur le continent nord-américain, pour rendre grâce à Dieu, après avoir découvert, le 29 juillet 1576, l’actuelle île Résolution, à l’extrémité est de l’arctique canadien, terre qu’il appela Queen Elisabeth Foreland en l’honneur de la souveraine Elisabeth I qui avait contribué au financement de son expédition…

Cette expédition visait à découvrir une route pour l’Asie par le nord-ouest de l’Amérique ; elle avait été engagée pour trouver une solution plus favorable aux anglais que le passage par la Terre de feu découvert par Magellan en 1520. Croyant découvrir l’entrée d’un détroit qui permettrait ce passage, Frobisher eût bien raison de rendre grâce à Dieu ce jour-là, même s’il suspecta vers la fin du mois d’août que son détroit n’en était pas un mais plutôt une baie de l’ïle de Baffin…

Route ayant permis à Martin Frobisher d’atteindre Resolution Island en 1576.En effet, Frobisher était parti le 7 juin 1576 de Ratcliff à la tête d’une flotte de trois vaisseaux avec 35 hommes d’équipage : le Gabriell vaisseau amiral de 20 tonneaux, le Michaell de 25 tonneaux et une pinasse de 10 tonneaux. Après un mois de lutte contre des vents contraires, la pinasse sombra avec ses 4 hommes d’équipage au cours d’une violente tempête au sud-ouest du Groënland, le Gabriell se mit à faire eau et le Michaell, poussé au large, rebroussa chemin et rentra en Angleterre croyant que le Gabriell avait coulé… Et c’est ainsi que Michaell fût de retour…

Mais en fait Frobisher à bord du Gabriell s’en sortit car, comme il disait,  »sachant qu’à la fin, la mer doit cesser d’être et qu’ainsi une terre doit commencer d’exister », il poursuivit sa route vers l’ouest, avec les 18 membres d’équipage restant, jusqu’à l’entrée de la baie à qui il donna son nom en croyant qu’il s’agissait d’un détroit, pensant avoir l’Asie à sa droite et l’Amérique à sa gauche… Au cours du mois d’août, sa conviction d’avoir atteint l’Asie se renforça sur l’ïle de Baffin où il découvrit des Inuits qu’il prît pour des asiatiques du fait de leur teint cuivré et de leurs yeux bridés ; il leur échangea de la viande et des fourrures contre des clochettes, des loupes et autres babioles…

Quelques jours plus tard, 5 des membres d’équipage partirent avec un Inuit qui devait leur indiquer la passe de retour puis disparurent… Frobisher, pensant que les 5 marins avait été capturés par les Inuits et renonçant après quelques tentatives de les retrouver, captura un Inuit qui venait commercer puis repartit vers l’est et fît un retour triomphal à Londres le 9 octobre 1576.

Georges Best, compagnon de Frobisher qui a narré ses voyages, a rapporté que l’Inuit pris en otage se mordit la langue jusqu’à se la couper en deux dès qu’il comprit qu’il était prisonnier ; il mourût ensuite d’un « mauvais rhume contracté en mer » peu de temps après son arrivée en Angleterre mais eût le temps de démontrer son talent d’archer à Elisabeth en abattant les cygnes de la souveraine dans les jardins de Hampton Court !

Par la suite, croyant avoir découvert de l’or dans du minerai ramené de son voyage, Frobisher mena deux nouvelles expéditions au même endroit, en 1577 et 1578 ; lors de ces deux expéditions, les relations n’allèrent pas en s’améliorant avec les Inuits… Mais, après le départ définitif en 1578 des apprentis colons anglais, les Inuits récupérèrent les divers objets laissés par ces visiteurs éphémères et utilisèrent en particulier jusqu’à une époque très récente leur enclume comme instrument de lancer pour leurs jeux rituels !

On dit que d’autres colons britanniques perpétuèrent ces cérémonies d’action de grâce en atteignant le nord du Nouveau-Monde.

    Samuel de Champlain et l’Ordre de Bon Temps

Samuel de Champlain. Lithographie par Ducornet. Archives nationales du Québec.À la même époque, les colons français, qui s’installèrent au Québec sous l’impulsion de Samuel de Champlain à partir de 1603, organisèrent également de grandes fêtes pour rendre grâce à Dieu.

Pour combattre l’importante mortalité des premières années et assurer le moral et l’alimentation des colons pendant l’hiver, Samuel de Champlain créa en 1606 l’Ordre de Bon Temps, le premier club social et gastronomique d’Amérique. Cet ordre était constitué des 15 plus importants membres de la colonie qui, à tour de rôle, l’espace d’une journée, portaient le titre de maître d’hôtel. Le maître d’hôtel avait pour tâche de servir la compagnie de mets somptueux préparés à partir des ressources locales.

Les indiens Micmacs, qui vivaient sur ce territoire et avec qui les colons avaient fait alliance pour lutter contre les Iroquois, étaient souvent invités à partager ces festins.

Description de la vie au sein de l’Ordre de Bon Temps par Marc Lescarbot, avocat, poète et dramaturge, membre de la Colonie de Champlain à partir de 1606. (texte de 1606).

Pour garantir la joie de vivre et toujours avoir une table bien remplie, un ordre a été créé par le groupe dudit M. de Poutrincourt, qu’on appela l’Ordre de Bon Temps, fondé à l’origine par Champlain.

Au sein de cet ordre, chaque homme était nommé maître d’hôtel à tour de rôle pour une durée d’un jour. Il avait le soin de voir à ce que nous fussions bien et honorablement traités. Ce qui fut si bien observé que, même si les épicuriens de Paris nous répétaient que nous n’avions pas la rue aux Ours, nous y avons fait aussi bonne chère que nous saurions faire en cette rue aux Ours, et à moins de frais. Pour cela, chaque homme se faisait un devoir, deux jours avant d’assumer ses fonctions de maître d’hôtel, d’aller chasser ou pêcher et de rapporter de quoi préparer un repas somptueux.

Nous pouvions donc nous délecter, à tous les repas, de viande ou de poisson savoureux. Le midi et le soir; c’était le grand festin. Le maître d’hôtel, que les Sauvages appelaient Atoctegic, qui avait fait préparer le repas par le cuisinier, arrivait, serviette sur l’épaule, bâton d’office à la main et collier de l’Ordre au cou, ce dernier revêtant une importance beaucoup plus grande que quatre couronnes ; entraient à sa suite tous les membres de l’Ordre, chacun portant un plat. Le même rituel était répété au dessert, quoique dans un style moins pompeux. Le soir, avant de rendre grâce à Dieu, le maître d’hôtel remettait le collier de l’Ordre à son successeur, ainsi qu’une tasse de vin et ils portaient un toast.

J’ai déjà dit que le gibier était abondant : canard, outarde, oie blanche et grise, perdrix, alouette et autres oiseaux; orignal, caribou, castor, loutre, ours, lapin, chat sauvage, raton laveur et autres mammifères comme ceux que piégeaient les Sauvages, à partir desquels nous apprêtions des plats largement à la hauteur de la cuisine de la rue aux Ours, voire supérieure, aucune viande n’étant aussi tendre que l’orignal (qui servait à faire d’excellents pâtés) ou aussi délicate que la queue de castor.

 Parfois, les Sauvages nous apportaient une demi-douzaine d’esturgeons, nous en achetions une partie et ils vendaient le reste au marché ou l’échangeaient contre du pain, que nos hommes avaient en grandes quantités. Les rations apportées de France étaient quant à elles distribuées à part égale à tous les hommes, tout comme le vin.

Ces initiatives de cérémonies d’Action de Grâce nord-américaines sont souvent passées sous silence et on rattache aujourd’hui habituellement l’origine de Thanksgiving, en Amérique du Nord, à l’histoire des Pilgrim Fathers qui est à l’origine du Thanksgiving actuel aux USA.

    Thanksgiving et l’Action de grâce acquièrent des statuts de fêtes nationales…

Que ce soit au Canada ou aux États-Unis, Thanksgiving a acquis depuis un statut de jour férié national.
Au Canada, les fêtes initiées par les premiers colons se perpétuèrent localement à des dates variables puis, à partir de 1799, avant la confédération, fût même décrétée officiellement dans certaines provinces tout d’abord ponctuellement puis ensuite assez régulièrement mais toujours à des dates variables…

Après la Confédération, une journée d’Action de grâces fut célébrée officiellement pour la première fois dans tout le Canada le 15 avril 1872, à l’occasion de la guérison du prince de Galles, le futur roi Edouard VII, victime d’une grave maladie. Et c’est en 1957 que le jour de l’Action de grâce fût finalement fixé au deuxième lundi d’octobre et décrété férié dans tout le Canada, par voie de proclamation.

Thanksgiving aujourd’hui…

On l’a vu, Thanksgiving et le jour de l’Action de grâce sont à l’origine une manière chrétienne de remercier Dieu pour ses bienfaits : une journée de benedicite en quelque sorte… et l’occasion de partager avec d’autres le havre et la nourriture que Dieu a permis de se procurer…

Au Canada et aux Etats-Unis, pour les chrétiens, ce caractère de remerciements à Dieu et de partage avec les autres est conservé : ce jour, qu’il soit le 2ème lundi d’octobre ou le 4ème jeudi de novembre est l’occasion de faire des dons, notamment de nourriture à des « banques alimentaires »… ceci tracasse d’ailleurs certaines d’entre-elles car ces immenses dons affluant un jour donné pose quelques problèmes de gestion et ne nourrissent pas ceux qui en ont besoin le reste de l’année…

Les églises sont aussi souvent animées et décorées spécialement. Traditionnellement, la décoration est composée de produits et éléments rappelant que l’automne est arrivé : citrouilles, potirons et autres courges, gerbes de blés, guirlandes et corbeilles de feuilles rougies par l’automne, corbeilles de pommes, cornes d’abondances avec noix, noisettes, grappes de raisins…

Thanksgiving a donc aussi un aspect hérité des anciennes fêtes existant dans moultes civilisations pour célébrer la fin des récoltes, lorsque l’autome s’installe : fête des moissons, fête des vendanges, fête de la mi-automne pour les asiatiques, nouvel-an hébreu… Ceci explique d’ailleurs peut-être le choix d’une date début octobre au Canada et fin novembre aux USA, car au Canada, le climat est plus rude et les récoltes finissent plus tôt…

Et, dans cet esprit, Thanksgiving, désormais jour férié national au Canada et aux USA, est également aujourd’hui un repas traditionnel rassemblant autour d’une grande table, la famille ainsi que les amis qui sont seuls… Dans les milieux francophones, le rituel est cependant moins suivi et on réserve généralement la dinde pour le réveillon de Noël et la citrouille pour Halloween…

Contrairement à d’autres « communions culinaires » du même type, le menu de Thanksgiving est resté très attaché à ses racines en étant composé de mets indigènes et de saison…

La poule d’Inde, compagne du dindon !D’où la suprêmatie de la dinde sur la table de Thanksgiving car, dans le passé, c’est à cette époque de l’année que ce charmant gallinacé indigène atteignait son meilleur poids après s’être empiffré tout l’été et, pour le mener plus loin dans la saison, il aurait fallu lui donner du précieux grain…

Bon, maintenant, avec les élevages en batterie, on peut consommer de la dinde toute l’année… mais on n’est pas obligé de s’en gaver autant qu’à Thanksgiving non plus !

Et puis, outre la dinde, il y a la citrouille qui arrive aussi à maturité à cette période !

Et c’est comme çà qu’on arrive au menu de Thanksgiving !

Au menu ça sera donc :
- Velouté de citrouille,
- Rôti de dinde farcie,
- Purée de pomme de terre, purée de pois aux champignons sautés, chou-fleur ou brocolis au nord, purée de patates douces au sud (avec une version limite dessert !) ou encore plat de riz sauvage dans la région des Grands Lacs…
- Tarte à la citrouille ou Pumpkin pie accompagnée de crème fouettée ou de chantilly au sirop d’érable (pour être sûr de ne pas quitter la table avec un petit creux…).

Au Canada, la pratique tradititionnelle est de farcir la dinde aux carottes, oignons, céleri, champignons et croutons de pain et de l’accompagner d’une sauce aux canneberges (baies rouges appelées également atocas au Canada et cranberries en anglais). Mais il n’est pas interdit non plus de se rapprocher de recettes traditionnelles des USA.

Je suis cuite…Et pour obtenir le résultat illustré ci-contre, consultez « la cuisson de la dinde ».

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