Asie : les produits laitiers ne sont pas leurs amis pour la vie…
Avez-vous remarqué que les cuisines extrêmes-asiatiques n’utilisent ni lait, ni fromages ?
Il y a quelques temps, recherchant des recettes pour le gigot pascal, j’ai recherché sur le ouaibe ce qu’on pouvait trouver en tendances asiatiques, n’ayant rien trouvé de ce genre dans notre bibliothèque de livres de cuisines authentiques asiatiques… Juste quelques trucs au basilic ou aux pousses de bambou au menu de restaurants « dits chinois »…
Donc les cuisines chinoises, japonaises et indochinoises n’utilisent pas ou guère non seulement le lait et le fromage mais aussi les viandes d’animaux de lait…
Et savez-vous pourquoi ?
Une histoire de tolérance au lactose après le sevrage…
L’absence de produits laitiers dans la cuisine extrême orientale est tout bonnement une conséquence de l’intolérance alimentaire au lactose… Cette intolérance est un caractère inné des mammifères, inscrit dans un de leur gène, appelé LCT : à la naissance de la plupart des mammifères (des baleines aux souris en passant par les ours, les primates et aussi les hommes), le code du gène LCT organise la production d’une enzyme « hydrolase », la lactase, qui permet d’assimiler le lactose, sucre naturel solide et peu hydrosoluble du lait maternel des mammifères, en le transformant en glucose et en galactose, sucres plus hydrosolubles et pouvant donc être transférés puis véhiculés par le sang pour nourrir l’organisme du nourrisson…
Mais les lignes suivantes du code du gène LCT prévoient aussi la diminution puis l’arrêt de la production de lactase avec le sevrage …une fois que les petits mammifères sont en capacité de se nourrir d’autre chose que du lait maternel… Et, à partir du moment où le gène LCT met en veille la production de lactase, le lactose est de moins en moins facilement transformé et se concentre dans l’estomac où des bactéries s’en régale puisque l’organisme ne le consomme plus et le laisse traîner là…
Mais voilà, la flore bactérienne de l’estomac ne dégrade pas le lactose en sucres hydrosolubles comme le fait la lactase mais en d’autres substances et en produisant de l’hydrogène ! Ce qui provoque ballonnements, crampes d’estomacs et diarrhées, symptômes caractéristiques de l’intolérance alimentaire au lactose ! Il faut savoir que dans quelques cas, heureusement assez rares, le code du gène LCT ne déclenche pas la production de suffisamment de lactase à la naissance ou se met en inactivité dès le jeune âge des bébés, provoquant l’intolérance au lactose et ses troubles chez de pauvres nourrissons pour qui il faut trouver des « astuces » ou des substituts pour réussir à les nourrir autrement qu’avec le lait maternel ou d’autres aliments lactés pour les bébés d’humains…
Mais, me direz-vous, comment se fait-il que de nombreux hommes et des animaux domestiques tels que les chats et les chiens arrivent à manger des produits lactés une fois le sevrage passé, sans se transformer en « piles à hydrogène » ?
La mutation du gène MCM6…
En fait, la résistance à l’intolérance au lactose, caractère non inné chez l’homme et la femme sevrés, serait apparue il y a environ 10.000 ans chez un individu d’une peuplade nomade du Caucase qui élevait des ovins pour assurer sa subsistance… Chez cet individu, une mutation d’un gène voisin du LCT, le gène MCM6 (Micro Chromosome Maintenance n°6) s’est produite, mutation consistant en une modification du code de ce gène qui rend illisible l’ordre d’arrêt de la production de lactase envoyé par le gène LCT lors du sevrage !
L’heureux individu a ainsi pu consommer, une fois adulte, le lait et les fromages de ses chèvres et de ses moutons… Puis il a transmis son gène MCM6 mutant à certains de ses descendants qui eux-mêmes la transmirent abondamment à toutes les populations européennes et du bassin méditerranéen, à l’occasion des périples dans ces différentes régions que firent les peuplades nomades venues des steppes caucasiennes, de cette lointaine époque jusque dans la première moitié du premier millénaire !
Et c’est ainsi que cette mutation permettant de vivre en se nourrissant de produits lactés issus de l’élevage des ovins, des caprins puis des bovins, s’est imposé au point que 80% des populations européennes, méditerranéennes, moyennes-orientales, américaines et australiennes en bénéficient aujourd’hui ! Même si cette mutation permettant une tolérance aux produits lactés semble plus fréquente en Europe du nord que dans le bassin méditerranéen…
Et paf le chameau en Afrique de l’est…
Chose amusante, à peu près à la même période, il y a environ 5 ou 6.000 ans, une mutation comparable quoique non identique s’est produite chez un individu d’une autre peuplade nomade d’Afrique de l’est, éleveur de chameaux…
Comme dans celle des plaines du Caucase, la mutation concerne le gène MCM6 et a le même effet sur la production de lactase !
Mais on sait qu’il s’agit de deux mutations distinctes car les séquences d’ADN modifiées ne sont pas les mêmes ! En Afrique, cette mutation génétique forte intéressante s’est également diffusée mais moins largement qu’en Europe et sur les bassins de la Méditerranée…
Car les Africains de ces temps anciens vivaient entre Africains et n’ont pas pratiqué les invasions continentales à la manière de leurs collègues des steppes et de leurs descendants européens et moyen-orientaux et la mutation du MCM6 née en Afrique n’a pas encore reçu le même succès mondial mais s’est cantonnée pour l’instant aux habitants de la Tanzanie et de quelques pays voisins !
Et en Orient ?
Les peuples asiatiques d’extrême-orient – Chine, péninsule indochinoise et Japon – se sont protégés depuis des temps immémoriaux des invasions « barbares » venues de l’ouest… Et, peu nomades mais plutôt agriculteurs sédentaires éleveurs de buffles utilisés pour la traction, le travail des champs et la viande à l’âge adulte et d’animaux de basse-cour et de porcs, une mutation asiatique similaire à celles survenues dans le Caucase et en Afrique de l’est, donnant une suprématie associée à la faculté de se nourrir de produits lactés, ne s’est pas imposée…
Ce qui fait qu’à ce jour la quasi-totalité des asiatiques « pure souche » devient intolérante au lactose une fois le sevrage terminé ! Ce qui fait qu’il faut donc éviter de présenter un plateau de fromages, des crêpes, des brioches, … et des entremets lactés à des invités Chinois et Japonais, sauf s’ils sont bébés !
Et voila pourquoi les cuisines extrêmes orientales n’utilisent aucun produit lacté et quasiment jamais de viandes de jeunes ovins, caprins ou bovins… Et c’est aussi pour cela que vous ne trouverez pas dans la recette du dredi une recette authentique d’agneau de lait aux jeunes pousses de bambous* !
Par contre, on commence à trouver de telles recettes, d’agneau notamment, dans les menus de certains restaurants « chinois » occidentaux !
Et pour ceux qui croiraient que je raconte des bistrouilles destinées à les rouler dans la farine en ce 1
Mais la cuisine orientale avec ses millénaires d’expérience s’est trouvée des substituts à ces produits lactés animaux : notamment le lait de soja et le tofu !
* C’est en envisageant une telle recette d’agneau aux pousses de bambou et en ne trouvant rien, ni dans mes ouvrages de cuisine, ni sur le web, que j’en suis venu à me demander pourquoi les cuisines asiatiques n’utilisaient ni lait, ni fromages, ni viandes d’animaux de lait, sauf parfois les porcelets dans certaines régions proches d’Indonésie et d’Inde, car apparemment les Hindous et les Indonésiens semblent eux aussi avoir bénéficié d’une mutation permettant d’assimiler le lactose une fois le sevrage passé !
Mots-clefs : Cuisines du monde
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Malheureusement, les grandes industries du lait envahissent l’Asie en y vantant les bienfaits des produits laitiers en présentant des famille asiatiques grassouillettes sur leurs publicité ! Merci pour cette article très intéressant. Recettes asiatiques sans produits laitiers sur oryza.asia
Félicitation pour cet article si bien documenté et si bien écrit !
Les lobbies du lait promotionnent l’augmentation de la consommation de lait pour les populations asiatiques afin de lutter contre l’ostéoporose et les fractures des personnes âgées.
cf https://www.produits-laitiers.com/ ou https://www.plaisirslaitiers.ca/
Par exemple, le marché des yaourts et des fromages est en pleine expansion en Chine au grand bénéfice de Danone et autres.
Les allergies et intolérances vont donc se multiplier en Asie…
L’explication fournie ici semble extrêmement étoffée scientifiquement. En revanche, il apparaît totalement inexplicable que LA TOTALITÉ des asiatiques (pure souche) soient intolérants au lactose. Ma conjointe est philippine de campagne reculée et ancestrale, extrêmement loin des villes et n’a quitté l’Asie qu’assez récemment vers l’âge de 30 ans, or elle n’a eu aucune difficulté particulière à ingérer lait et fromage (et même à y prendre goût quasi immédiatement dans le cas par exemple de l’Emmenthal). L’explication est sans doute donc aussi à trouver ailleurs. Si la majorité des asiatiques, dans leurs mœurs culinaires (par exemple au Vietnam) ne prisent pas les produits laitiers (pour les raisons données ici, ou même pour des raisons culturelles), l’élevage industrialisé des vaches en fermes deviendrait, par le fait même, non rentable.