Crosne : la rumeur qui fait le buzz…
Vous connaissez le crosne du Japon ?
C’est un petit légume d’hiver, devenu rare bien qu’ayant connu une ascension fulgurante après son arrivée en France en 1882 en arrivant par la Chine (en bateau, pas à pied…).
Bref, reçu en 1882, acclimaté en 1885 puis diffusé à partir de 1886 par Auguste Poillieux et Désiré Bois, Stachys affinis Bunge, rebaptisé communément crosne par Auguste en 1887, connût depuis cette année-là un succès fulgurant dans son usage culinaire en France, jusque vers 1975 où il disparût presque complètement pour commencer à revenir sur nos tables depuis la fin des années 1980…
M’étant mis à la monographie de ce bon tubercule zarbi (qui porte le nom de la commune où je réside depuis fin 2001), aux formes curieuses de grosse chenille boursouflée ou d’hélicoïde (à âme pleine et non queue de cochon !), à la belle couleur blanc nacré et au bon goût de fonds d’artichaut, j’ai entrepris comme d’hab une étude bibliographique avant de prendre ma plume pour le décrire de fond en comble…
Et là, parmi d’autres choses, j’ai trouvé un truc récurrent sur le ouaibe que j’allai finir par prendre pour pain béni : le crosne devait son succès à partir de 1887 et son irrésistible ascension à Alexandre Dumas fils qui aurait fait déclamer sa recette de salade japonaise aux crosnes par Mlle Reichemberg interprétant le rôle d’Annette, servante au grand coeur et fin cordon bleu, dans sa pièce Francillon produite pour la première fois le 18 janvier 1887 au Théâtre-Français devenu depuis La Comédie Française…
Bon, ceux qui me connaissent savent que je suis méfiant et exigeant sur la véracité des sources… Ces copier-coller de site en site, lettre pour lettre, me semblaient bizarre d’autant qu’en essayant de mettre la main sur la recette de cette fameuse salade aux crosnes d’Alexandre Dumas, j’ai fini par tomber sur une page perso de Catherine Martin créé le 12 juillet 2000 qui disait les choses suivantes à propos du restaurant Brébant-Vachette :
Restaurant parisien du boulevard Poissonnière qui fut célèbre sous le second Empire. Créé en 1780, il changea plusieurs fois de propriétaire, fût transformé par Vachette (le père de l’écrivain Eugène Chavette), puis fût géré par Paul Brébant, restaurateur et amateur d’art.
Le 9 janvier 1887, par l’intermédiaire d’Alexandre Dumas fils et de sa pièce Francilion, Annette servante du jeune premier Henri donne la recette de la « salade Francilion » qui se retrouve dans toutes les gazettes au lendemain de la première. Paul Brébant s’empresse de la mettre à sa carte. Il remplace les pommes de terre par des crosnes, importés du Japon depuis 1882, et qu’un agriculteur de Crosnes a réussi à acclimater, et l’appelle « salade japonaise ». Sa recette originale n’a pas été oubliée pour autant, qui s’appelle parfois « salade Alexandre Dumas » dont il donne lui-même la recette :
« Vous faites cuire des pommes de terre dans du bouillon, vous les coupez en tranches comme pour une salade ordinaire, et, pendant qu’elles sont encore tièdes, vous les assaisonnez de sel, poivre, de très bonne huile d’olive à goût de fruit, vinaigre d’Orléans, un demi-verre de vin blanc Château-Yquem, si c’est possible. Beaucoup de fines herbes, hachées menu, menu. Faites cuire en même temps, au court-bouillon, de très grosses moules (un tiers de la quantité des pommes de terre) avec une branche de céleri. Faites-les bien égoutter et ajoutez aux pommes de terre déjà assaisonnées. Retournez-le tout légèrement. Quand la salade est terminée, remuée, vous la couvrez de rondelles de truffes – une vraie calotte de savant – cuites au vin de Champagne. Tout cela deux heures avant le dîner, pour que cette salade soit froide quand on la servira. »
C’est dans cette grande brasserie qu’avaient lieu les dîners réunissant les écrivains Zola, Daudet, Flaubert, etc…, ainsi que la finance et l’industrie.
Bon, je tiens là une bonne piste : apparemment la salade « Francilion » d’Alexandre Dumas fils n’est pas une salade de crosnes mais une salade de pommes de terre et c’est Paul Bréband qui le lendemain de la première représentation de la pièce la transforma de salade de pommes de terre en salade de crosnes.. Pas étonnant d’ailleurs cette initiative de Paul Bréband car, ami de Auguste Paillieux et Désiré Bois qui avaient importé et acclimaté Stachys Affinis du Japon à Crosne, il avait donné des idées pour accommoder ce nouveau légume pour la notice publicitaire qu’Auguste Paillieux préparait…
Bon, mais pour vérifier que tout ce que raconte les blogs qui tiennent le devant de la place publique et disent que c’est Alexandre Dumas fils qui a conduit à populariser les crosnes par sa salade déclamée par Annette la servante au Théâtre-Français, il faut que j’arrive à dégoter le texte intégral et original de Francillon..
J’ai fini par le trouver sur Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque Nationale Française… (voir pages 272-273 pour la recette)
Ce qui me permet en fin de compte d’avoir découvert et lu Francillon et de rectifier de multiples erreurs pompées et repompées par de nombreux sites lorsqu’ils parlent du crosne en se mettant le doigt dans l’oeil jusqu’au coude… : la pièce Francillon et non Francilion n’a pas été créé le 9 janvier 1887 mais le 18 janvier 1887, Annette n’était pas une servante au grand coeur mais Annette de Riverolles, fille du marquis de Riverolles et soeur de Lucien comte de Riverolles… Dans Francillon nulle trace de crosne et la salade japonaise d’Alexandre Dumas est belle et bien une salade de pommes de terre (sans aucun ingrédient japonais) et non de crosnes… En plus, cette fort bonne recette de pommes de terre au Château Yquem et au truffes cuites au champagne n’est pas déclamée dans l’acte II mais est (entre autres…) le sujet de la scène 2 de l’acte I ! Pour preuve, voir le texte intégral de cette scène qui vaut son pesant de crosnes dans « la salade japonaise Francillon » !
Bref, tout ce que repompe et colporte, moultes sites ouaibes ayant pignon sur rue, relève d’un tissu de c……., bref de la m…. comme pourrait le dire Jean-Pierre Coffe… Curieux qu’il n’est pas repris la chansonnette JPC…
Bien que ça me peine de leur faire de la pub mais pour citer mes sources, voici la liste des sites que j’ai trouvé qui colportent cette fausse information sur le succès du crosne en France dû à Alexandre Dumas fils à la fin des années 1880… :
- Régime Dukan ah, tiens encore lui !,
- Certiferme,
- Saveurs du monde,
- Encyclopédie incomplète,
- Association Nationale des Professeurs de Cuisine et Restaurant des C.F.A.,
- Netfemmes,
- Vioo,
- Encyclopédie atypique incomplète,
- Flickr (dans le commentaire d’un américain…),
- Wiki voyage (en allemand) à propos de l’Essonne,
et je suis sûr qu’il y’en a d’autres…
Bon, donc, je résume : la salade « japonaise » d’Alexandre Dumas est une salade de pommes de terre et non de crosnes ; cette recette fût déclamée pour la première fois le 18 janvier par Mlle Reichemberg interprétant Annette, fille de marquis et soeur de comte et non servante, dans la scène 2 de l’acte I de Francillon au Théâtre-Français ; c’est apparemment Paul Bréband qui avait contribué aux fiches-publicitaires sur le crosne de Auguste Pailleux, co-acclimatateur du Crosne en France avec Désiré Bois, qui la transforma le lendemain 19 janvier en une salade de crosnes (plus japonaise que celle de Dumas!) pour l’inscrire au menu du restaurant Bréband-Vachette ! Auguste Paillieux n’était pas agriculteur mais industriel en retraite passionné de botanique et d’acclimatation de légumes exotiques et le nom exact de la ville de Crosne est Crosne et pas Crosnes !
Qu’on se le dise !