Histoires d’oz
L’oz, symbole de ounce ou once que l’on voit désormais figurer sur toute boîte de conserves, est avant tout…
…une histoire de livre !
En effet, l’once était, à l’époque romaine, une mesure de poids valant un douzième de livre, comme son nom l’indiquait : uncia signifiant en latin « la douzième partie d’un tout » ; la livre romaine pesant 327,368 g, une once représentait 27,264 g.
Au Moyen-Âge, ça se complique : peut-être du fait du développement des activités calligraphiques des monastères puis de l’avènement de l’imprimerie, les livres se multiplient…
Ainsi, en France, suivant l’endroit et les matières que l’on pèsent, la livre varie d’environ 350 g à 550 g ! Les oz aussi se multiplient car, on distingue la livre de poids, divisée en 12 onces, et la livre de poids de marc… et comme 1 marc c’était une demi-livre subdivisée en 8 onces, une livre de poids de marc valait 16 onces et non pas 12 !
Et au XVIIIème siècle, une once représentait ainsi, selon les lieux et les cas, du simple au double de poids !
Incroyable : un pied anglais plus petit qu’un pied français !
De l’autre côté de la Manche, en 1066, après la Bataille de Hastings, Guillaume le Conquérant instaure un système de mesure anglais qui repose (fermement) sur un pied anglais (foot) à 12 pouces (inch) défini officiellement comme les 15 seizièmes du pied du Roi de France (qui lui avait 16 pouces !) : c’est depuis cette époque, qu’en Angleterre, le pied est plus petit et a moins de pouces que le pied français… Pourtant, j’avais l’impression que les Anglais et les Anglaises avaient autant de doigts de pieds que nous mais chaussaient des pointures plus grandes ! En fait, si le pied représentait bien la longueur du pied, le pouce était la largeur du pouce : les Anglais de l’an mil avait donc des pieds plus petits que les nôtres mais des pouces plus large !
Ce système anglais sera confirmé officiellement à plusieurs reprises : tout d’abord par la Magna Carta en 1215 puis de nouveau en 1496, en 1588 et en 1758 ; et il a perduré, dans son principe, dans le système de mesure « British Impérial » retenu en 1824 par le Royaume-Uni, pour usage sur l’ensemble de l’Empire britannique.
Mais quel rapport entre les pieds, les pouces et les oz ?
C’est que, pour mesurer les liquides, on préférait des unités de volume ! Là aussi on tenait ça de l’antiquité romaine : à l’époque, une amphore avait un volume d’un pied cube local et valait 2 urnes, ou 8 congés, ou 48 sétiers… Au Moyen-Âge, le congé d’un huitième de pied cube soit environ 4,5 l prend aussi le nom de gallon, gallon valant 4 quarts, chaque quart valant 2 pintes, chaque pinte valant 2 chopines, chaque chopine valant 2 gills ou roquilles et chaque gill ou roquille valant 4 onces ! Un gallon correspond donc à 128 oz mais des oz de liquides cette fois !
Mais un gallon de quelque chose, c’était pas forcément le même volume qu’un gallon d’autre chose… Cependant, pour les choses importantes, les choses se stabilisèrent au XVIIIème siècle en Angleterre : la norme d’un gallon de vin fût fixée à 231 inch.cube et celle d’un gallon de bière à 282 inch.cube !
Le système métrique avec quelques têtes en moins…
Bon, là-dessus, à partir de desiderata exprimés par Louis XVI en 1788 suite aux Etats-Généraux, la Convention Nationale française adopte le système métrique le 1er août 1793, 6 mois après avoir raccourci son ex souverain d’une tête… Pour les masses, on se base sur la livre de Paris dite du Roi (en hommage posthume…), qui valait 489,5058 de nos grammes : on l’assimile à un demi kilogramme, la nouvelle unité de masse du système « décimal »…
Les Anglais, ne voulant pas être en reste, phosphorent et adoptent en 1824 le système Imperial qui, inspiré (?) par le système décimal, considère, après quelques atermoiements, que l’unité de masse sera désormais la livre avoir-du-poids de 453,59237 grammes avec comme sous-mesure un oz d’un seizième de livre…
Les Américains adoptent le même système d’unités de masse que les Britanniques… Mais pour certaines matières, notamment les métaux précieux, les uns et les autres utilisent quand même la livre Troy (c’est à dire la livre de la ville de Troyes…) de 373,2417216 g subdivisée cette fois en 12 oz…
Pour les volumes, ça se complique : le système métrique adopte le litre (en fait le mètre cube dont le litre est le millième mais en cuisine, un litre de sauce, c’est déjà pas mal…) et les Anglo-saxons restent attachés à leurs pieds cubes… et à partir de là, détachez vos ceintures !
En effet, en 1824, les Anglais, réellement séduits par le système décimal, considèrent qu’un gallon correspond au volume de 10 livres avoir-du poids d’eau à 62 degrés Fahrenheit et sous une pression de 30 inch de mercure (i.e. les conditions « ambiantes » en Angleterre). Il y a donc une correspondance simple entre l’Imperial livre et l’Imperial gallon et entre mesures de poids et de volumes d’eau, et en plus un gallon équivaut à peu près à 282 inch.cube soit l’ancien gallon de bière : que demande le peuple ! Et toujours par souci de simplicité, un British Imperial gallon vaudra désormais 10 x 16 = 160 fluid oz et non plus 128 !
Les américains, libérés du joug britannique mais soucieux de sauvegarder les traditions de la vieille Albion, considèrent eux que le gallon vaudra 3 x 7 x 11 = 231 inch.cube, soit l’ancien gallon de vin, et en conservant une subdivision en 128 oz !
De part et d’autre de l’océan, un gallon vaudra néanmoins 4 quarts, ou 8 pints ou chopins, ou 16 old-chopins, ou encore 32 gills…. Mais attention : un gill US est égal à 4 US fluid oz et un British Imperial gill à 5 British Imperial fluid oz !
Je sens que certains se disent que je prends plaisir à compliquer les choses…
Pour leur montrer que j’ai tenté la plus extrême simplification tout en cherchant à conserver un certain réalisme historique, je leur recommande la lecture de cette excellente synthèse d’experts anglo-saxons sur les unités utilisées dans leurs pays !
Ah, j’allais oublier… Il faudrait voir aussi à ne pas se mêler les pinceaux entre les poids et les masses… Et dans la cuisine, quand on dit tant de grammes de farine, on parle de masse et pas de poids… La masse est en effet une caractéristique d’un corps indépendante de l’endroit où il se trouve ; dans le système métrique international, on l’exprime en kilogrammes… Par contre, le poids est une force, exprimée en Newton (ou à la rigueur en kilogramme force) qui dépend de l’endroit où on est (car grâce à Newton, on sait que F = M x g, g étant « l’accélération de la pesanteur ») : or, si à Paris ou au sommet de l’Himalaya, à l’équateur ou au pôle Nord, sur la Lune ou dans une capsule spatiale, ma masse M est toujours la même, il n’en est pas de même pour mon poids F…
Ainsi, avec mes 90 kilogrammes de masse, si aux environs de Paris je pèse aussi 90 kilogrammes force (~883 Newton – fichtre, 883 Newton, je ferai bien de me mettre au régime -), sur l’Himalaya à part les kilogrammes masse que j’aurai perdu en y montant (si j’y arrive…) mon poids sera quasiment inchangé – quelques milligrammes de moins -, par contre à l’équateur je pèserai environ 250 g de moins mais par contre 250 g de plus aux pôles, et sur la Lune mon poids ne sera plus que de 15 kilogrammes et pendant le voyage, à mi-chemin dans ma capsule spatiale allant son erre, je ne pèserai plus que quelques grammes au maximum ! Quand je pense aux régimes qui nous disent : « perdez vingt kilos en un mois… », il faudrait qu’ils nous précisent s’ils parlent de kilogrammes masse ou de kilogrammes poids !
Bon mais à part ça, le plus important…
C’est que n’importe où :
3 cuillerées à café = 1,5 cuillerées à dessert = 1 cuillerée à soupe
soit un volume de 1,5 cl et une masse de 15 g d’eau
et environ 1/2 oz en masse d’eau et 1/2 fluid oz en volume que ce soit des oz US ou British Imperial…
Commentaire de la maîtresse de maison : « et vous trouvez-ça drôle ? »
Mots-clefs : La juste mesure
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