La recette du dredi !

Claude Guéant, ministre de l’Intérieur du gouvernement français a tenu le samedi 4 février, à l’Assemblée nationale, ces propos polémiques lors d’une rencontre entre des élus UMP et l’UNI, syndicat étudiant proche de la droite radicale : « Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique… En tout état de cause, nous devons protéger notre civilisation ».

Avec le grand art que l’on lui connaît, Claude Guéant a amorcé les gogos en dénonçant « l’idéologie relativiste de gauche »…

Je n’ai jamais entendu dire, sauf samedi dernier par Claude Guéant, que l’idéologie de la gauche française ne défendait pas la liberté, l’égalité et la fraternité ou acceptait la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique…

Alors voilà comment semer la confusion…

Surtout en préférant utiliser le terme civilisation plutôt que par exemple valeurs, culture, moeurs, société… Et ceci , certainement sciemment, car Claude Guéant sait très bien manier la langue française.

Mais quel sens donner à ce terme civilisation qui vient du latin civis, citoyen ?

Dans un sens ancien, proche de culture, une civilisation est l’ensemble des caractéristiques spécifiques à une société, une région, un peuple, une nation, dans tous les domaines : sociaux, religieux, moraux, politiques, artistiques, intellectuels, scientifiques, techniques… Les composantes d’une civilisation sont transmises de génération en génération par l’éducation. Dans cette approche de l’histoire de l’humanité, il n’est pas porté de jugements de valeurs. On parle de civilisations sumérienne, égyptienne, babylonienne, maya, khmer, grecque, romaine, viking, arabe, occidentale… On évoque rarement une civilisation française…

Dans un sens plus « moderne », la civilisation désigne l’état d’avancement des conditions de vie, des savoirs et des normes de comportements ou moeurs, dits civilisés, d’une société. Dans cette signification, la civilisation introduit des notions de progrès et d’amélioration relatives vers un idéal se voulant universel engendré, entre autres, par les connaissances, la science, la technologie. La civilisation est alors la situation atteinte par une société qui se considère plus évoluée que d’autres qui elles sont barbares, sauvages…

Malheureusement, les siècles passés ont montré que la civilisation dite occidentale, convaincue de sa supériorité, avait engendré les formes les plus cruelles de barbarie : extermination des Indiens d’Amérique du Sud par les Conquistadors espagnols, guerres « de religions », extermination des Indiens nord-américains par les colons américains venus de l’Ancien Monde, esclavage, colonisation, déportations, holocaustes, génocides, …

De ce fait, le terme civilisation dans son deuxième sens a été pris avec de plus en plus de distance dans les deux derniers siècles…

Car si, en 1817, J. De Pradel de la Mase écrivait : « Les Allemands, comme tous les peuples de civilisation encore un peu primitive, pratiquent facilement les vertus naturelles et, en particulier, celle de l’hospitalité » considérant donc les Allemands comme des humains semi-civilisés, semi-barbares, Anatole France écrivait lui en 1905 : « Ce que les hommes appellent civilisation, c’est l’état actuel des moeurs et ce qu’ils appellent barbarie, ce sont les états antérieurs. Les moeurs présentes, on les appellera barbares quand elles seront des moeurs passées. ». Et Aimé Césaire écrivait en 1950 dans son Discours sur le colonialisme, « Colonisation : tête de pont dans une civilisation de la barbarie d’où, à n’importe quel moment, peut déboucher la négation pure et simple de la civilisation. »

Dans les années 1960, les nationalistes ultra conservateurs nord américains se sentant évidemment mal avec les expériences fascistes et nazis, inventèrent le néo-conservatisme en opposition au relativisme culturel et à la contre-culture de la nouvelle gauche américaine. Et cette nouvelle forme de défense de la suprématie nationaliste d’une culture par rapport à une autre fût adoptée comme un des piliers de la politique de George W. Bush qui justifia ainsi « ses guerres saintes »… On a vu ce que ça a donné…

Claude Guéant, une nouvelle fois, nous incite, par des propos fallacieux longuement mûris, au mépris de ceux qui ne sont pas comme « nous »…

Il oublie que l’on peut à la fois aimer ses valeurs, les protéger, les défendre et les transmettre sans pour autant tomber dans le rejet et le mépris des autres…

D’ailleurs, il a commencé à laisser tomber son  » voile  » en précisant dimanche après-midi ses propos de la manière suivante : « Autre exemple, les prières de rue. J’ai entendu un responsable socialiste très important dire que ça ne gêne personne ; mais si, ça gêne beaucoup de Français. Mais ça gêne surtout un principe, celui de la laïcité. Et nous, nous avons interdit la prière de rue qui est une expression de civilisation. »

C’est cela, oui…

Mais, au fait, si des musulmans sont amenés en France à prier dans la rue est-ce par une conviction issue de leur civilisation ou parce qu’on ne leur permet pas d’avoir un lieu de culte ?

Je m’interroge…

Au fait, en France, le ministre de l’intérieur est aussi, si je ne me trompe, le « ministre des cultes »… ça fait peur…