14 février : saint Valentin de Terni
Le martyrologe romain dit que ce saint Valentin († 14 février 273), patron des amoureux, distinct de saint Valentin, prêtre à Rome, est ermite puis évêque de Terni en Ombrie.
C’est un homme puissant en œuvres et en paroles qui fait de grands miracles : un parent du tribun Fonteius, gravement malade est une masse inerte de chair. Les prières de Valentin le guérissent. La nouvelle parvient à Rome à 80 km au sud. Quoique païen, Craton († 273), philosophe et professeur de rhétorique romain très renommé, fait appel à Valentin pour guérir son fils, atteint de la même maladie : Valentin promet de le guérir si Craton veut se faire instruire, lui et sa famille, dans la religion chrétienne et être baptisés. Cette condition remplie par Craton et les personnes de sa maison, Valentin prie et le jeune homme retrouve la santé. Placide, juge de Rome, l’apprend. Il fait flageller Valentin, et comme celui-ci ne veut pas renier sa foi, il le fait jeter au cachot et le fait décapiter la nuit-même… 3 jeunes Athéniens, Proculus, Phoebius et Apollonius († 273), élèves de Craton, et Abundius, préfet de Terni, se convertissent. Les jeunes gens confient la tête de Valentin au clergé papal et partent enterrer secrètement son corps à Terni. Là, ils sont arrêtés par Licentin et mis à mort et la sépulture de Valentin tombe dans l’oubli…
En 1120, Baudry de Bourgueil (° vers 1045-† 1130) ancien évêque de Dol-de-Bretagne démis de sa fonction et historien, hagiographe et chroniqueur, visite les abbayes du Bec, de Fécamp, de Saint-Wandrille et de Jumièges en basse-Normandie, pour y recueillir le savoir des moines sur la vie de saints. À Jumièges, près de Rouen, il apprend que Rome a remis le crane de saint Valentin de Terni à un prêtre normand venu en pèlerinage pour le donner à une église de France. Mais, longtemps, ce prêtre garde cette relique pour lui seul. Pris de remords, il finit par en faire don à l’abbaye de Jumièges, y devient religieux et y meurt… Les moines doutent de l’authenticité du crâne : serti dans une châsse d’ivoire, on l’enfouit sous l’autel de l’abbatiale Saint-Pierre avec une notice racontant son histoire présumée et on l’oublie…
Le 24 mai 841, les Vikings incendient l’abbaye et reviennent le lendemain pour la piller. Mais les moines sont partis vers le prieuré d’Haspres près de Cambrai en emportant les manuscrits et les reliques les plus précieux, notamment les sarcophages des saints Philibert de Noirmoutier (° vers 619–† vers 685), Aichard de Jumièges († vers 687) et Hugues de Rouen († 732), 1er, 2ème et 4ème abbés de Jumièges. L’abbaye en ruine reste abandonnée près d’un siècle.
Vers 934, sous l’impulsion de Guillaume Ier Longue-épée (° avant 910-† 942), jarl de Normandie, les bâtiments sont sommairement restaurés par des moines poitevins pour accueillir 12 religieux.
En 1040, le 28ème abbé de Jumières, Robert Champart († 1055) engage la reconstruction d’un monastère et d’une nouvelle abbatiale. Mais comment envisager l’inauguration de la nouvelle abbatiale sans relique puisque celles de l’ancienne abbaye sont désormais à Cambrai ? Robert, promu évêque de Londres en 1044 puis archevêque de Canterbury en 1051, envoie des reliques de saints anglais à Jumièges mais on ne va pas quand même pas se contenter que de saints protecteurs anglais en terre Normande ! Par chance, lorsqu’on récupère le maître autel de l’ancienne abbatiale Saint-Pierre pour l’adapter à la nouvelle abbatiale, on retrouve la châsse d’ivoire et le chef de Valentin et sa notice. Bien que toujours considéré comme douteux, ce chef commence à retrouver une odeur de sainteté !
Robert Champart expulsé de son poste de primat d’Angleterre se réfugie à Jumièges en 1052 et y meurt 3 ans plus tard : autour de son sarcophage, on dresse 5 pilastres avec sur l’un d’eux saint Valentin en tenue épiscopale. Enfin, le 1er juillet 1067, après 27 ans de travaux, le futur bienheureux Maurille († 1067), archevêque de Rouen, consacre la nouvelle abbatiale Notre-Dame de Jumièges avec une belle collection de reliques dont celle de Valentin bien en vue. Il y a là de nombreux prélats, dont tous les évêques de Normandie, et Guillaume Le Conquérant (° 1027-† 1087), duc de Normandie, devenu roi d’Angleterre l’année précédente, et toute la contrée l’acclame.
Peu après, la presqu’île de Jumièges, est envahie par des mulots qui s’empiffrent des grains et des fruits alors que la famine sévit. Valentin apparaît à un pieux cénobite en prière dans l’abbatiale : revêtu d’habits sacerdotaux et le visage rayonnant, il lui dit « Le chef en votre possession est le mien. ». Ce chef pourrait être emmené illico en procession pour mettre fin au fléau mais le moine garde sa vision pour lui… 3 jours de suite, Valentin revient le harceler et le moine finit par confier son secret à l’abbé. Le matin suivant, un 14 juin, l’abbé fait venir le peuple affamé à l’abbaye : on sort le saint crane de la châsse, on le présente puis on le processionne dans le bourg et la presqu’île. De partout, les mulots intrigués viennent voir et suivent le convoi. La procession s’achève sur le chemin qui va de l’abbaye à la Seine, aujourd’hui rue des Îles : les mulots, pris de remords, plongent dans la Seine et la foule entonne un « Te deum » en remontant vers l’abbaye. Un culte est né : Valentin est honoré à l’abbaye chaque 14 juin, son chef est placé dans une châsse d’argent financée avec la population, posée bien en vue sur un autel du jubé de l’abbatiale pour y être vénérée de tous.
Quelques années plus tard, Jumièges souffre de sécheresse. Le chef de Valentin est porté en procession sous un ciel sans nuage pour une messe à l’église du Mesnil, à 4 km au sud-est de l’abbaye. À peine le célébrant a-t-il prononcé « Ite, missa est » qu’un orage déclenche une pluie torrentielle. L’orage terminé, on repart pour Jumièges avec la relique mais, à mi-chemin, des trombes d’eau tombent autour de la procession mais sans que personne ne soit mouillé ! Du coup, peu après, les Jumiégeois refont une procession avec leurs moines pour remercier le saint de sa pluie qui n’a enrhumé personne ! Ranulphe, palefrenier de l’abbaye devenu aveugle, a dépensé son maigre avoir auprès des chirurgiens mais en vain… Apprenant que la châsse va passer devant chez lui, il se fait conduire par sa femme dans la rue et prie les moines d’arrêter la procession. On présente la relique à Ranulphe qui se prosterne devant elle en priant et il retrouve la vue.
L’intercession de Valentin guérit aussi de langueurs le moine Urson qui va devenir abbé de Montebourg en 1093. Les Jumiégeois choisissent alors Valentin comme protecteur et, à l’abbaye, on le fête désormais aussi, chaque 14 février, date de son martyr. Mais les Jumiégeois n’ont pour église que l’abbatiale où, chaque dimanche et jour de fête, les moines accueillent la foule bruyante venue prier Valentin ! Les diocésains, soucieux de la sérénité de leurs moines, proposent d’édifier une église Saint-Valentin qu’ils financeront en grande partie. Les moines approuvent et, un 15 novembre entre 1101 et 1127, l’église, sur la route de Yainville, est dédicacée à saint Valentin. Cette belle église romane existe toujours.
À la fin du XIIème siècle, la peste frappe Duclair à 7 km au nord-est de Jumièges : 8 à 10 paroissiens meurent chaque jour. On y amène la châsse et le fléau cesse. La peste sévit alors durement à Bliquetuit à 10 km au nord-nord-ouest de Jumièges : 2 habitants sur 3 sont déjà morts. Le chef de Valentin va y faire un tour et l’épidémie s’arrête au bout de 3 jours. En reconnaissance, chaque lundi de Pentecôte, les gens de Bliquetuit font procession à Jumièges pour vénérer saint Valentin. Au fil des siècles, le chef de Valentin ne cesse pas de produire des miracles. Un incendie à Jumièges ? Il arrête le feu. Une famine ? Il chasse les fièvres malignes. Les aveugles recouvrent la vue, les muets la parole, les sourds l’ouïe… La confrérie des pêcheurs de la Mailleraye organise une nouvelle procession avant la messe de l’Ascension et la Saint-Valentin, le 14 février, voit affluer une foule d’étrangers au point qu’en 1402, les moines obtiennent l’accord du roi Charles VI (° 1368–† 1422) pour déplacer la foire de Jumièges du dimanche des Rameaux, jour saint peu propice au commerce, au 14 février.
En mai 1562, les Huguenots volent la châsse en argent massif de saint Valentin mais en laissant intact le vénéré crâne qui est placé dans un coffret de bois. En 1626, Toussaint de Glandevès de Cuges (° 1584-† 1648), évêque de Sisteron, fait don d’un reliquaire en argent en forme de tête de 12,5 kg pour abriter le chef.
En février 1651, après des mois et des mois sans pluie, les 3 curés de la presqu’île de Jumièges demandent aux moines de processionner avec ce reliquaire pour mettre fin à la sécheresse et, quelques jours plus tard, des pluies abondantes fertilisent la campagne. En 1662, une épidémie de fièvre frappe les religieux de l’abbaye : une tournée du reliquaire autour de l’abbaye et hop ! les voici tous guéris !
L’hiver 1692-1693 est très rigoureux en France et le printemps et l’été qui suivent très pluvieux. Sauf dans le midi, les récoltes sont médiocres. Le prix des céréales s’enflamme et la sous-alimentation et des épidémies dont une de typhus déciment la population française à partir de l’automne. Les habitants de Saint-Wandrille, à 10 km au nord de Jumièges, payent un lourd tribut. À Jumièges, on s’attend au pire : le prieur d’alors, Martin Filland, exhorte les habitants à prier Dieu par l’intercession de Valentin et rebâtir sa chapelle détruite lors des guerres de religion. Durant 9 jours, on prie avec le chef de Valentin en tête de procession et Jumièges est préservée alors que partout autour, on meurt…
Cette crise exceptionnelle de subsistances et les épidémies qui suivent surviennent alors que les guerres menées par Louis XIV (° 1638-† 1715) contre les autres royaumes d’Europe s’enchaînent depuis 25 ans… Elles sont la plus grande catastrophe de France (à ce jour). La misère et la famine poussent des foules de pauvres, de dénutris, de malades qui meurent de faim, du typhus ou de dysenterie : on estime que cette famine et ses épidémies ont fait 1.700.000 morts en 1693 et 1694, faisant passer la population française de 22.200.000 à 20.500.000. Devant cette catastrophe, le jeudi 20 mai 1694, jour de l’Ascension, les curés de Jumièges, du Mesnil, de Yainville, de Bliquetuit, de Guerbaville et de Duclair organisent une gigantesque procession après les vêpres, avec tous les paroissiens de la région. Le soir même, il pleut, 5 jours avant que Rouen, à 20 km à l’ouest, ne reçoive quelques gouttes d’eau et 8 jours avant que Paris ne fasse une procession à Sainte-Geneviève dans le même espoir… Suit un été caniculaire. Le cellérier de l’abbaye de Jumièges consacre 5.727 livres parisis (soit 160 kg d’argent pur) et les moines de Jumièges achètent 55 m3 de froment, de méteil et de seigle pour distribuer chaque jour 400 écuelles de soupe aux habitants de la presqu’île : on estime que 500 personnes sont ainsi sauvées localement de la faim… Charles-François Tixier (° 1641-† 1716), bénédictin de l’abbaye de Jumièges et témoin de ces évènements, les consigne en 1696 dans un livret qui reprend ceux de Baudry de Bourgueil et de Jean Bolland (° 1596-† 1665), jésuite et hagiographe belge, initiateur de la société des bollandistes.
Pendant la révolution, le reliquaire de Valentin est saisi et fondu à la Monnaie de Rouen le 27 avril 1792. Adam, abbé de Jumièges, réussit à sauver le chef du saint. Après 7 siècles d’existence, le pèlerinage de Bliquetuit est interdit en 1793 : on vient prier devant l’effigie du saint à l’église paroissiale.
Au concordat, le chef de Valentin est caché sous le maître autel de l’église Saint-Valentin. Une statue en bois du XVIème siècle de Valentin esquissant un geste de bénédiction est placé sur l’autel pour veiller sur sa la relique.
En 1821, ça se complique : Jacques Collin de Plancy (° 1793 ou 1794–† 1881) affirme dans son« Dictionnaire critique des reliques et images religieuses » que saint Valentin a un corps dans l’église Sainte-Praxède, une tête dans l’église Saint-Sébastien à Rome, un corps à Bologne, une autre tête à l’abbaye de Jumièges, la moitié d’un corps à Milan, un autre corps presqu’entier à Melun et des bras à Macerata dans la Manche d’Ancône, à l’abbaye de Saint-Denis de Mono, à l’Escurial …et bien d’autres restes ailleurs ! Visiblement, ce lettré libre-penseur fan de Voltaire mélange à dessein les ossements de plusieurs saints Valentin pour créer le buzz comme on dirait aujourd’hui…
Placé sur l’autel de l’église paroissiale, un tableau rappelait le miracle des mulots mais celui-ci a été détruit pendant la révolution. Alors, en 1859, Pierre Senties (° 1801-† après 1869), peintre d’histoire alors en vue mais tombé dans l’oubli depuis, le reproduit en peinture murale.
En 1860, Jean Philippe Provost (° 1793-† 1874), curé de Jumièges, enfant du pays appelé « l’abbé Prévost » et membre renommé de la société française d’archéologie écrit « Vie et miracles de saint Valentin » pour informer ses paroissiens sur leur saint patron trop connu par « des traditions incomplètes et souvent infidèles ». La même année, le cardinal Henri-Marie Boisnormand de Bonnechose (° 1800-† 1883), archevêque de Rouen, confirme le sceau abbatial qui garantit l’authenticité du chef de Valentin.
En 1872, à la demande des habitants de Bliquetuit, ce cardinal rétablit leur procession, le lundi de Pentecôte. Cette année là, plus de 600 personnes venues de Bliquetuit et ses environs y participent et les paroissiens de Jumièges les accueillent : l’église est trop petite pour que tous puissent entrer…
En 1873, le lundi 2 juin, 2ème édition de la nouvelle procession : après l’évangile, l’abbé Prévost dit : « Pourquoi Jumièges a-t-il choisi pour patron saint Valentin, étranger, plutôt que saint Philibert de Noirmoutier et autres grands saints qui ont illustré le pays ? Dieu délègue sa puissance à un saint pour combattre tel ou tel fléau assiégeant l’humanité. Jumièges a toujours été menacée par 2 fléaux : la peste, à cause des marécages qui l’entoure et la sécheresse, à cause du sol sablonneux privé de la sève que la rosée du ciel donne mais qui manque cruellement les années de sécheresse… ».
La procession de Bliquetuit à Jumièges va continuer à avoir un grand succès jusque vers la fin du XIXème siècle puis, comme la plupart des processions religieuses qui avaient lieu dans toutes les régions françaises, elle s’éteint progressivement au début du XXème siècle, faute de processionnaires…
Saint Valentin, évêque de Terni, est souvent confondu avec saint Valentin, prêtre de Rome et saint patron des amoureux …y compris de plus en plus aujourd’hui avec internet qui se prend pour la mémoire du monde et recopie toutes les idioties du ouaibe qui en contient de plus en plus en les relayant (encore et encore comme dirait Cabrel) y compris par les sites qui se veulent les plus « saints » du monde comme par exemple Nominis…
Certes, Valentin de Rome et Valentin de Terni sont morts à quelques années d’intervalles un 14 février… mais il s’agit bien de 2 saints distincts comme le prouvent leurs hagiographies, si on prend quelques jours à leur consacrer !
Une bonne manière pour reconnaître les iconographies de ces 2 saints Valentin : saint Valentin, prêtre de Rome et saint patron « des amoureux » est représenté tenant une épée de sa main droite et une palme dans son bras gauche, symboles de son martyre, ou alors rendant la vue à la fille d’Astérius, alors que saint Valentin de Terni est en tenue épiscopale, entouré de mulots ou avec sa crosse dans la main droite et bien sûr, lui aussi, la palme du martyre dans son bras gauche.
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Toutes ces informations figuraient sur mon site consacré à l’histoire de Jumièges. Je me permets donc de le citer puisque ce n’est fait…
» Toutes ces informations figuraient sur mon site consacré à l’histoire de Jumièges » : certes mon cher Laurent Quevilly mais pas que… et puis votre page n’est pas datée et vous-mêmes ne citez guère vos sources…
Ceci étant, je me suis servi moi-même de plusieurs sources, peut-être votre page et, si c’est le cas veuillez m’excuser de ne pas y avoir fait référence, mais peut-être pas car en général, je m’appuie sur des livres anciens dont auteur et date sont clairement établis…