27 janvier 2014 : à Dieu, Pete Seeger !
Pete Seeger (° 3 mai 1919-† 27 janvier 2014) nous a quitté ce jour à 94 ans, discrètement, comme il savait l’être, sans qu’on en parle beaucoup dans les médias français… Au cas où vous ne le connaîtriez pas, Pete Seeger était un chanteur folk américain…
À partir de 1938, Pete Seeger écume les archives musicales de la bibliothèque du congrès américain pour compiler toutes sortes de chansons traditionnelles puis poursuit sa quête en rencontrant des chanteurs de l’Amérique profonde. Il ne peut pas rencontrer le bluesman noir Leadbelly (° 23 janvier 1885 ?-† 5 décembre 1949) qui vient d’être emprisonné pour violence à New York. Il faut dire qu’à l’époque, dans le Sud des États-Unis, se défendre pour un noir est considéré comme une tentative de meurtre. Il le rencontre par contre dès sa libération en 1940 et en devient l’ami. La même année, Pete Seeger rencontre le grand baladin, poète et chanteur Woody Guthrie (° 14 juillet 1912-† 3 octobre 1967), icône de la chanson protestataire nord-américaine. Avec lui, ils fondent les Almanac Singers. Ce groupe éphémère mais très influent joue beaucoup de chansons militantes pour les syndicats du comité pour une internationale ouvrière. Ce sont des chansons pacifistes dans un premier temps puis des chansons antifascistes militant pour l’entrée en guerre des États-Unis après l’attaque et l’occupation d’une partie de l’URSS par la Wehrmacht en juin 1941.
En septembre 1948, dans le People’s Songs Bulletin qu’il dirige et dont il est directeur artistique, Pete Seeger publie « We will overcome », version politisée du vieux chant gospel, « I’ll Overcome Someday » du révérend Charles Albert Tindley (° 7 juillet 1851–† 26 juillet 1933). La même année, avec Lee Hays, Ronnie Gilbert et Fred Hellerman, Pete Seeger fonde le groupe The Weavers qui va jouer un rôle déterminant dans l’émergence du folksong protestataire : à l’automne 1950, The Weavers occupent 13 semaines de suite la première place des ventes aux USA avec leur titre « Goodnight Irene », reprise d’un classique de Leadbelly.
Dans les années 1950, Woody Guthrie et Pete Seeger organisent des réunions musicales hebdomadaires à New York : les Hootenannies. Ces Hootenanies sont un peu à la musique folk ce que sont les Jam sessions au jazz. Autour d’un buffet, on joue de la musique, on lit des poésies. Les Hootenannies sont aussi l’occasion de forums et de débats sur des problèmes socio-politiques.
Depuis 1940, Pete Seeger est adhérent du parti communiste américain et reçoit donc l’attention toute particulière du FBI. En 1953 et 1954, il est traduit en justice 10 fois de suite par la commission McCarthy. Mais interrogé par la cour sur ses opinions, il refuse à chaque fois de parler et de témoigner, se bornant à déclarer que sa liberté d’expression et d’opinion sont garantis par le premier amendement de la constitution américaine. Ce mode de défense lui vaut 10 condamnations (cumulatives) d’ un an de prison pour outrage au congrès. Mais la peine sera finalement annulée en appel et ne sera jamais exécutée…
En 1955, Martin Luther King Jr. (° 15 janvier 1929-† 4 avril 1968) engage le mouvement des droits civiques aux États-Unis lorsque Rosa Parks (° 4 février 1913-† 24 octobre 2005) est arrêtée et emprisonnée pour avoir violé les lois ségrégationnistes de la ville de Montgomery en refusant de céder sa place à un blanc dans un bus. Pete Seeger qui disait « I just want to plant the seeds of a better tomorrow in the homes across our land. » rencontre Martin Luther King Jr. en 1957, devient son ami et lui chante et lui offre « We will overcome » qu’il a transformé en « We shall overcome », chanson qui va devenir l’hymne des marches du mouvement des droits civiques.
En 1958, les impresarii George Wein (° 3 octobre 1925) et Albert Grossman (° 21 mai 1926–† 25 janvier 1986) créent « The Newport Folk Festival », premier festival folk d’importance aux États-Unis. Ce festival a lieu en 1959 et 1960 puis s’arrête. L’édition de 1959 fait découvrir Joan Baez (° 9 janvier 1941) qui monte pour la première fois sur scène pour y chanter 2 chansons en duo avec Samuel Robert « Bob » Gibson (° 16 novembre 1931–† 28 septembre 1996). Joan Baez a découvert le folk song et le protest song 5 ans plus tôt, à l’âge de 13 ans, lors d’un concert de Pete Seeger. Depuis, elle n’a qu’une idée : se consacrer à cette musique.
En 1962, le festival renaît, sous l’impulsion de George Wein, Pete Seeger et Theodore Bikel (° 2 mai 1924) mais sans Albert Grossman qui est attiré plus par les profits que par la promotion de la musique folk. Ils fondent la Newport Festival Foundation, association à but non lucratif « pour présenter la musique folk sans les impératifs économiques usuels et perpétuer les traditions sur lesquelles se basent les regains d’intérêt actuels ».
Entre 45.000 et 47.000 spectateurs, en grande partie des lycéens et des étudiants, viennent assister à l’édition 1963. Une centaine d’artistes y participent. Joan Baez, tête d’affiche 4 ans après sa découverte par le public, y invite Bob Dylan (° 24 mai 1941) dont la renommée de chanteur protestataire grandit depuis 2 ou 3 ans. À la fin du festival, Bob Dylan rejoint sur scène Peter, Paul and Mary, Joan Baez, Pete Seeger et The Freedom Singers et la fête s’achève en chœur sur « We shall Overcome ».
Lors de l’éclosion de la nouvelle génération folk dans les années soixante, Pete Seger et Woody Guthrie vont devenir la référence de tous les jeunes artistes qui émergent. À propos de Dylan, je viens de découvrir « Freihgt train » de Woody Guthrie qui fait drôlement penser à « Don’t think twice, it’s all right » !
Certaines des chansons de Pete Seeger comme « Where have all the flowers gone ? », deviennent les hymnes du pacifisme et du flower power. Il connaît un grand succès avec sa chanson « Turn! Turn! Turn! », sur des paroles tirées de l’écclésiaste, reprise par le groupe The Byrds qui la fera connaître dans le monde entier. Il chante aussi des textes contestataires, comme « Little boxes de Malvina Reynolds » (° 23 août 1900-† 17 mars 1978), interprétée en français par Graeme Allwright (° 7 novembre 1926) sous le titre « Petites boîtes » et en espagnol par le chanteur chilien Víctor Jara (° 28 septembre 1932-† 16 septembre 1973) sous le titre « Las casitas del barrio alto », dans laquelle il attaque l’enseignement américain créateur de conformisme. Il est encore plus féroce dans la chanson « What did you learn in school ? », écrite par Tom Paxton (° 31 octobre 1937), et également chantée en français par Graeme Allwright. En 1966, il popularise la chanson « Guantanamera » du poète cubain José Julián Martí y Pérez (° 28 janvier 1853-† 19 mai 1895). En 1967, il s’oppose ouvertement à la guerre au Viêt Nam à travers sa chanson « Waist deep in the big muddy », rapidement censurée…
Joan Baez et Bob Dylan unissent leurs voies (et leurs voix) à la sienne et Bruce Springsteen (° 23 septembre 1949) a toujours considéré Pete Seeger comme « sa référence »… Il lui a notamment consacré son 14ème album « We shall overcome: The Seeger sessions », sorti en 2006.
On doit à Pete Seeger d’innombrables succès poignants et populaires qu’il interpréta, adapta ou composa… dont certains comme « If I’had a hammer » dont il est co-auteur en 1949 et qui ne pourra être enregistrée qu’en 1956 car les paroles sont jugées subversives puis qui sera traduite, dans une version mièvre édulcorée de son aspect protestataire (pourtant c’était pas méchant : on y évoquait juste la liberté et la justice pour tous…) et interprétée en France en 1963 par Claude François (° 1er février 1939- † 11 mars 1978) en « Si j’avais un marteau », juste après que Trini Lopez (° 15 mai 1937) en ait fait un succès international, avec les paroles originales…
Il existait un excellent mix Youtube de plus de 40 chansons interprétées par Pete Seger, Joan Baez, Woody Guthrie et son fils Arlo (° 10 juillet 1947). Le 31 janvier, je vous la conseillais chaleureusement ! Des heures de bonheur à passer en boucle ! Malheureusement (voir ci-dessous), cette compilation a été interdite d’internet (Peete Seeger doit toujours s’en retourner dans sa tombe…) alors, à défaut, voici un truc actuellement permis (le 4 octobre 2014) d’une dizaine de minutes…
J’ai découvert Pete Seeger grâce à ma copine d’enfance Nicole L. avec qui j’ai partagé la plupart de mes dimanches de 3 à 18 ans et de 12h à 20h, car nos parents, amis depuis les années 1930, se retrouvaient chaque semaine pour jouer au bridge, chez les uns et les autres par alternance (en fait, depuis la fin des années 1950, c’était plus souvent chez nous car les parents de Nicole s’étaient acheté une 4 CV alors que nous étions nous métribus jambis et le trajet La Motte-Picquet / Picpus en passant par la Glacière (Brrr… j’en ai encore froid…) avec changement à Nation en métro le dimanche, ça durait une plombe ! Alors qu’en voiture, même sans périph, il fallait 15 minutes en roulant très raisonnablement !)… Nicole, plus âgée que moi d’un an, était une fan absolue de jazz : surtout Miles Davis (° 25 mai 1926–† 28 septembre 1991) & more… Elle était très branchée et savait bien que, moi le jazz ce n’était pas vraiment mon truc. J’étais alors plutôt catho tendance Témoignage chrétien et, côté musique, j’écoutais de la variété française populaire de Trenet à Brassens en passant par Bourvil et Dalida à la radio – mais pas les yéyés…- et j’avais quelques disques classiques de Bach à Chopin que j’achetai de temps en temps en 20 cm 33t avec un petit livret sur l’auteur et l’oeuvre, avec l’argent de poche que me donnait ma mère quand j’étais premier de la classe (ma mère n’a pas eu de bol : j’ai été premier de la classe à peu près chaque mois de la 11ème à la 3ème !)…
Pour mes 16 ans, en 1965, Nicole m’offre deux 30 cm 33t de Pete Seeger qui viennent d’être commercialisés par Super Majestic (un de lui seul, Pete Seeger, Songs of the USA, et un autre des Weavers avec Pete Seeger) qu’elle avait dégotés dans une boutique « alternative et improbable » qui se trouvait alors rue des Ecoles, non loin du boulevard Saint-Germain, presque en face de la Sorbonne… Un bonheur… C’est ce qui m’amènera à découvrir Bob Dylan dont j’achetai le disque « Bringing it all back home » l’année suivante, en solde chez le disquaire qui existait alors porte de Vanves, du côté banlieue : le 1er 33t LP que je me sois acheté !
Recevant mon mail que j’avais fait un petit peu avant ce post pour mes potes (et potesses ?), mon pote JMG me confirma qu’ayant lu la presse mardi 28 janvier, il n’y trouva pas grand chose sur Pete Seeger sauf ces beaux hommages des journaux :
- La Croix,
- Libération.
Bon, Le Parisien en parlait aussi, disant surtout que c’était l’auteur compositeur de « Si j’avais un marteau… » oubliant de dire que le sinistre Claude François avait complètement dénaturé les paroles en la reprenant… Le Figaro dédaignera lui consacrer un petit post internet mardi soir et Le Monde, le lendemain soir….
Merci, René, de me redonner un petit coup de jeune!